samedi 31 décembre 2011

Un apolitisme désolant

L’année 2011 nous a apporté un lot d’événements qui attestent d’un grand désarroi politique, au Québec comme ailleurs sur la planète :

·        La mise en tutelle des États nationaux par « les marchés »,

·        La descente aux enfers des libéraux (l’ascenseur s’arrêtera où au juste?),

·        L’implosion du Parti québécois,

·        La disparition du Bloc Québécois à la Chambre des communes,

·        Les sautes d’humeur de l’opinion publique québécoise, qui ont porté aux nues le NPD de Jack Layton, et élèveront peut-être bientôt la Coalition Avenir Québec de François Legault au pouvoir,

·        Le mouvement des indignés, qui expriment leur malaise devant tout ce qui va mal, mais qui rejettent de même souffle la politique comme moyen d’apporter des solutions.

Doit-on conclure à la chute de la démocratie de représentation? L’appareil politique ne répond pas à l’opinion comme avant. La règle de l’alternance entre le parti au pouvoir et l’Opposition officielle ne fonctionne plus. Des partis sans machine politique sont propulsés à l’avant-plan. Les taux de participation électorale tendent à la baisse.

D’aucuns ont parlé de la fin d’un cycle politique. Mais où cela nous mènera-t-il? Une fois qu’on a dit que les gouvernements se sont coupés de tous moyens en réduisant les impôts pour répondre aux impératifs de la mondialisation; que les politiciens sont « tous pareils », des opportunistes venus changer les règles de la société à leur profit ou à celui de leurs amis; que le mode de scrutin déforme la volonté réelle des électeurs; que le « crime organisé » a infiltré le processus d’octroi de contrats publics; a-t-on le droit de baisser les bras ou de se jeter dans ceux du premier venu qui prononce le mot « changement »?

Parlons-en du changement. Pour un, nous avons congédié le Bloc Québécois du jour au lendemain. D’accord, il ne faisait plus la promotion de la souveraineté. D’accord, la situation était bloquée à Ottawa depuis 2004 – avec trois parlements minoritaires au sein desquels les partis étaient en campagne électorale permanente. Mais qu’avons-nous maintenant? Un parlement « normal », avec un parti ministériel qui fait la pluie et le beau temps et une Opposition officielle invisible. Qui a défendu les intérêts du Québec à Ottawa depuis le 2 mai dernier? Le ministre Jean-Marc Fournier, allé témoigner devant un comité des Communes contre le démantèlement du registre des armes à feu! Faut le faire. Où était le NPD? Sais pas!

Pourtant, le Québec s’en est fait passer d’autres : le projet de loi sur les jeunes contrevenants, le retrait du Canada du Protocole de Kyoto, le juge de la Cour suprême et le Vérificateur général unilingues anglais, la diminution du poids de la province dans la Chambre des communes. Et le pire est à venir : le renouvellement des accords fédéraux-provinciaux sur la santé. D’accord, le Bloc n’aurait pu exercer le pouvoir à Ottawa, même au sein d’une coalition avec les libéraux et les néodémocrates, mais il était le seul parti à dénoncer les reculs du Québec sans compromis avec la majorité canadienne. Avec le NPD, contrairement à ce que certains de mes collègues politologues espèrent, nous risquons de n’y voir que du feu. Voilà où peut nous mener le « changement pour le changement ».

Notre désillusion envers la politique a de multiples sources. L’une d’entre elles est la brisure de l’impulsion donnée par la Révolution tranquille, et qui devait se compléter par l’accession du Québec au statut d’État souverain. Deux fois plutôt qu’une, le Québec a frappé à la porte de l’ONU, sans en franchir le pas.  Les fédéralistes québécois – les vrais, les autonomistes, ceux qui veulent que le Canada fonctionne comme une fédération binationale – ont aussi connu bien des déceptions[i]. Les multiples tentatives de changer la structure de la fédération canadienne dans le but d’accorder plus d’autonomie au Québec, surtout sous Robert Bourassa, n’ont rien donné sinon quelques arrangements administratifs sans protection constitutionnelle.

À force de ne rien obtenir, les Québécois ont fini par ne rien désirer. D’où ce cynisme qui semble faire chez nous plus de ravages qu’ailleurs. La formule de François Legault : mettre la question nationale sur la glace pour 10 ans (n’y est-elle pas déjà?) rejoint donc la sensibilité de bien des gens déçus, voire meurtris. Il faut d’abord régler les problèmes du Québec, dit-il. C’est justement la formule qu’avait employée Mario Dumont lorsque son parti, l’ADQ, a quitté le train souverainiste qu’il avait emprunté par simple opportunisme en 1995. La CAQ instrumentalise à son tour le ras-le-bol constitutionnel et le mécontentement de la population face à une classe politique qui nous paraît amorphe, une impression décuplée par la propension des médias à ne traiter l’actualité qu’en surface.

Parlons-en des problèmes du Québec! Un état rapetissé, un sous-financement chronique, un fonctionnariat démotivé, un gouvernement qui ne songe qu’à démanteler les sociétés d’État, un manque total de volonté de protéger le français comme langue de travail. On a beau dire que rien ne bouge, nous intéressons-nous vraiment à la chose publique?

Le désintérêt de la population face à la politique atteint des sommets. La recherche du bien commun a cédé le pas à la maximisation du bonheur individuel. Au moment où le Québec aurait besoin d’une nouvelle Révolution tranquille, de faire évoluer le Modèle québécois, on se préoccupe qui de ses droits de scolarités, qui de son fonds de pension, et tous de nos prochaines vacances.

Mon bilan de 2011? Le Québec a sombré dans un apolitisme désolant. Nous nous sommes déresponsabilisés de notre parcours collectif. Mon vœu pour 2012? Que nous retrouvions le goût des débats de société, des débats d’idées et, oui, de la question nationale. Car si nous avons abandonné le front outaouais, nous faisons toujours partie du Canada. Et le Canada, lui, se réinvente en s’éloignant de plus en plus du Québec.

Il y aura fort probablement une élection provinciale en 2012. Faudra-t-il donner du Ritalin à tout le monde pour que nous prenions le temps de nous intéresser à cette campagne? Cependant, pour forcer un débat d’idées, il faudra quitter nos fauteuils de spectateurs installés devant la télé, qui attendent de voir qui marquera le meilleur coup lors du débat des chefs avant de se faire une idée. Participer, c’est militer dans un parti, intervenir dans les médias, ou s’exprimer  dans nos milieux respectifs. En démocratie, c’est cela la politique.



Comme il est écrit dans une carte de vœux que je viens de recevoir: « Une page d'histoire est tournée. À nous d’écrire la prochaine! »


[i] Le dernier à s’y être cassé les dents est le néanmoins brillant ministre libéral des Affaires intergouvernementales canadiennes Benoît Pelletier qui, après avoir été complètement marginalisé par Jean Charest, est retourné enseigner le droit à l’Université d’Ottawa. Voir Une certaine idée du Québec. Parcours d’un fédéraliste. De la réflexion à l’action, livre publié aux Presses de l’Université Laval en 2010.

mardi 15 novembre 2011

Indépendantistes non pratiquants

Au cours des dernières années, des études ont démontré qu'un grande majorité des personnes qui s'identifiaient comme catholiques au Québec étaient non pratiquants. En fait, plusieurs d'entre eux ne croient pas à un bon nombre de dogmes du catholicisme. Certains sont carrément non-croyants. Pourtant, ils se disent catholiques. Les experts en sciences des religions nous expliquent que pour ces personnes, la religion a une fonction culturelle. Elle sert de marqueur identitaire.

Le 15 novembre 1976

Il y a 35 ans aujourd'hui, les Québécois élisaient pour première fois un parti indépendantiste. Ils ont remis au pouvoir  18 ans plus tard. Selon la règle de l'alternance, qui n'est pas un absolu, son tour devrait revenir en 2012. Mais cela n'arrivera pas. Le Parti Québécois se fait doubler par un parti politique qui propose de mettre l'indépendance de côté. Pas au profit de l'autonomie. Non. La Coalition Avenir Québec veut décréter un moratoire sur les changements constitutionnels. Histoire de régler les problèmes du Québec.

Cherchez l'erreur...

Premièrement, chacun sait qu'un partie des problèmes du Québec tirent leur origine de son statut politique. Peut-être faudrait-il refaire la pédagogie de la question nationale. Mais il y a pire. Près de 40% des Québécois se disent indépendantistes. Pourtant, un bonne part d'entre eux s'apprête à voter pour le nouveau parti. Cela fait d'eux des indépendantistes non pratiquants.

Comment expliquer cette incohérence?

Est-ce les échecs des référendums de 1980 et 1995, qui ont été suivis de formidables rebuffades d'Ottawa, qui sont la cause de cette lassitude? Ou alors, la « demande » pour la souveraineté ne serait-elle pas en train de se tarif faute d'une « offre » crédible. Autrement dit, que font les leaders du Parti Québécois, ou même de Québec solidaire, pour faire avancer le Québec vers la souveraineté?

Quand le Pape et les évêques semblent avoir perdu la foi, comment peut-on croire que les fidèles croient encore?

samedi 12 novembre 2011

La paix et la mondialisation (1) La mondialisation économique

Le « Jour du Souvenir », ou de l’Armistice, commémore la fin de la Der des Ders, le 11 novembre 1917. Plus jamais, l’humanité ne devait connaître les affres de la guerre. Et pourtant…

Alors, en ce 11e jour du 11e mois de 2011, j’ai porté le coquelicot rouge, celui qui nous rappelle le sacrifice des soldats, et ma compagne le nouveau coquelicot blanc, à la mémoire de toutes les victimes de la guerre. Car il faut se souvenir de l’horreur pour éviter qu’elle se reproduise. Je sais que c’est cliché, mais c’est un historien qui vous le dit!
Nous, nationalistes québécois, éprouvons un malaise lorsque vient le moment de parler de la guerre et de l’armée. Les Canadiens français, puis les Québécois francophones ont une tradition neutraliste, isolationniste et pacifiste qui remonte à la Guerre de Conquête (la Guerre de Sept ans). Les pressions de l’idéologie impérialiste qui enflammèrent le Canada anglais au tournant du XXe siècle ont entraîné le Canada dans des conflits qui ne le regardait pas ou très peu (Guerre des Boers en Afrique du Sud, réarmement de la marine de guerre britannique, Première Guerre mondiale). Pas plus que les Américains, nous nous sentions concernés par les antagonismes du vieux continent. De plus, l’armée canadienne ne nous attirait pas, car on n’y parlait presqu’exclusivement que l’anglais. Elle était un foyer d’assimilation.

Puis, vint la Seconde Guerre mondiale. Malgré notre opposition traditionnelle à la conscription pour service outre-mer (nous n’avions pas d’objection à défendre le territoire canadien), nous nous sommes finalement rendus compte que le combat des Alliés était juste. On a même pardonné au premier ministre canadien, Mackenzie King, d’avoir imposé la conscription en toute fin de conflit, malgré ses nombreuse volte-face : « Pas de conscription », « La conscription si nécessaire, mais pas nécessairement la conscription », et enfin « Aussi peu de conscription que possible ».
Mackenzie King, ex-premier ministre du Canada
Les historiens ont revisité la contribution des Francophones à l’effort de guerre du Canada au cours du XXe siècle. Oui, il y a eu beaucoup moins d’enthousiasme au Québec qu’au Canada anglais – après tout, le Canada français, tout comme les États-Unis, était détaché de l’Europe depuis le milieu du 18e siècle. Mais non, les Canadiens français n’étaient pas des traîtres. Beaucoup se sont enrôlés volontairement, comme le futur premier ministre Paul Sauvé. Et d’autres, hommes et femmes, se sont acquittés de leur contribution par leur travail sur le sol canadien.
Paul Sauvé, ex-premier ministre du Québec

Il reste encore quelques survivants de la Deuxième Guerre mondiale. Certains témoignent encore dans nos écoles. Il existe aussi une nouvelle génération d’anciens combattants d’Afghanistan. Le souvenir de la guerre a fait de la plupart d’entre eux d’ardents pacifistes.

Le commerce mondial, un progrès?
« Le nationalisme, c’est la guerre », disait François Mitterrand, qui a lui-même vécu la Deuxième Guerre. Cela dépend évidemment du type de nationalisme. Cela dit, la construction de l’Union européenne avait comme objectif premier de rapprocher des peuples ennemis pour faire en sorte qu’ils n’aient plus intérêt à se battre entre eux. Autrement dit, la mondialisation des marchés sert d’abord et avant tout de rempart contre l’éruption d’un troisième conflit mondial qui serait sans doute le dernier, avec l’annihilation de la vie sur la Terre.
François Metterrand, ex-président de la France

Mais n’entendons-nous pas aussi que la mondialisation serait la mère de tous les mots? De la tyrannie des marchés sur les gouvernements démocratiquement élus jusqu’aux conséquences environnementales de la surconsommation : du transport de matières premières et de produits finis d’un bout à l’autre de la planète jusqu’à l’épuisement de ses ressources ? « De simples externalités, nous répondent nos amis les économistes. » Oui, des externalités, qui ne sont pas comptabilisées dans le prix demandés dans « le marché », et que l’on reporte sur les générations futures.
Nous serions donc face à un dilemme : il nous faudrait choisir entre disparaître par la guerre ou par le libre-échange. On me dira encore que je suis un sympathique commentateur pessimiste, que tout n’est pas si noir, et qu’il existe des solutions :
       
·        La crise financière? C’est une période de transition qui révèle une meilleure répartition de la richesse entre les pays émergent, empêchant un déplacement massif de la population vers le Nord.

·        La pollution et l’épuisement des ressources? Cela ouvre un tout nouveau marché aux technologies vertes : l’économie d’énergie et la valorisation des déchets.

·        Les changements climatiques? Question d’adaptation.
Bref, la mondialisation économique n’aurait pas de conséquences irréparables. Mieux, elle serait synonyme de progrès pour l’humanité. Rien de moins. Mince… Dois-je revoir toutes mes idées? Non. Pas encore. Tant à droite qu’à gauche, on se plaint des dérives de la mondialisation. Dans ses chroniques, Mathieu Bock-Côté relève le mouvement de « démondialisation », qui préconise le retour au nationalisme économique. Dans Survivre au progrès, le réalisateur Mathieu Roy nous rappelle que notre propension à consommer, un corollaire d’un commerce mondial en croissance, risque de se heurter aux limites de notre planète.

Mais peu importe la posture critique que l’on prendra contre le commerce mondial, qu’on préconise son ralentissement (position protectionniste) ou sa régulation à l’aide d’organisations internationales aux pouvoirs contraignants (position mondialiste), l’interdépendance économique est aujourd’hui telle que les pays du monde ont de moins en moins de raisons de s’attaquer à leurs voisins, car ceux-ci sont plus souvent des clients ou des fournisseurs que des concurrents.
La mondialisation économique est donc un facteur de paix, à condition qu’elle ne nous conduise pas à la ruine!

dimanche 30 octobre 2011

« On veut la mettre en mini-jupe "and speak english-e" »

Nous sommes le 30 octobre 1995. Les larmes aux yeux, je quitte le Palais des congrès de Montréal, alors que le Québec venait de rater son Grand rendez-vous avec l’Histoire. Le poète Gaston Miron que, sans le savoir, je voyais pour la dernière fois, m’apostrophe et me dit « On s’est faits voler! » En voiture, j’écoute en boucle le « Tour de l’île » de Félix Leclerc, un hymne à l’indépendance. « Ça signifie, l’heure est venue. Si t’as compris… » Mais trop peu avaient compris : il aurait fallu en convaincre 27 000 de plus.




Pourquoi cette indépendance? Pour Leclerc, c’était pour poursuivre l’aventure historique entreprise au 17e siècle, pour ne pas tomber sous le rouleau compresseur américain, bref, pour rester nous-mêmes et évoluer à notre façon.
Félix Leclerc, 1914-1988
De Gaulle, qui avait « une certaine idée de la France », était venu encourager ce mouvement d’émancipation et d’identité. A bien des égards, le Québec était une inspiration pour lui : moderne, mais néanmoins français. Le progrès n’avait pas à être anglo-américain.
Dans le contexte nord-américain qui est le nôtre, l’indépendance politique est une protection vitale. C’est le seul rempart contre la marginalisation du Québec à l’échelle du Canada, et contre l’érosion du français comme langue commune de tous les Québécois.
Les Québécois auront longtement été les « irréductibles Gaulois ». En 1954, dans son ouvrage Le fédéralisme canadien, l’économiste québécois Maurice Lamontagne, devenu haut fonctionnaire fédéral, enjoignait Maurice Duplessis à abandonner sa lutte « perdue d’avance » pour l’autonomie provinciale, plaidant plutôt pour « l’intégration lucide ».

C'est peut-être ce qui est en train de nous arriver, à nous comme aux autres. Le Québec n’avance plus depuis belle lurette. À quelques exceptions près (Caisse de dépôt et placement, contrôle de l’immigration), il n’a réussi qu’à préserver une autonomie d’ailleurs bien ébréchée par les interventions d’Ottawa dans les champs de compétence des provinces. Pendant ce temps, les forces de l’intégration et de l’uniformisation sont en route, allant de pair avec l’individualisme.
Le premier ministre Harper a beau nous dire qu’il veut protéger la « représentation proportionnelle » du Québec au sein de la Chambre des Communes, cette proportion diminue sans cesse. En 1871, le Québec comptait 32,3% de la population canadienne. Aujourd’hui, c’est 23,1%. Un parti politique peut maintenant gouverner le Canada sans faire élire de députés au Québec.
Jack Jedwab, directeur général de l’Association d’études canadiennes, nie que le recul de « quelques points de pourcentage » du français signifie son déclin. Quelques points tous les dix ans, ça fait combien par génération? Après plus d’un siècle où le français a dominé Montréal, la balance penchera bientôt de nouveau vers l’anglais. Et cela s’entend.
La Presse nous rapporte par ailleurs, que les Québécois se détournent peu à peu de la chanson de langue française, surtout dans la région de Québec. Même Jean Charest trouve qu’il n’y a pas assez d’artistes francophones au Festival d’été de Québec. Rappelons qu'en 1974, la première  édition de ce festival s’appelait la « Superfrancofête ». Aujourd’hui, c’est la célébration des « has been » du rock anglo-saxon.
J’ai passé la moitié du mois d’octobre 2011 en France. Je pensais y trouver du réconfort. Hélas, la métropole de la francophonie, qui est encore un pays souverain, se laisse aller. Déjà, en juin, j’avais constaté que l’Office de tourisme de Montpellier s’affichait avec le titre « Go-Montpellier ». Eh! Bien, cette fois-ci, je me désole à la vue des slogans « Is-ère anybody » pour Grenoble et « Only-Lyon » pour la capitale du Rhône. On se met en mini-jupe, et on speak english.


Je ne sais pas si c’est l’âge ou la déception, mais j’ai parfois l’impression d’assister à la fin d’un monde. A moins d’un sursaut, il y a fort à parier qu’un à un, nous nous fondrons imperceptiblement dans le grand maelstrom où nous ne serons plus les citoyens de nations, mais les clients dans un immense marché. Et lorsque les francophones  ne pèseront plus assez lourd, et que la demande pour les artistes de langue française ne sera plus suffisante, c’est toute notre culture qui disparaîtra et deviendra du folklore. On se sera laissés acheter.

samedi 24 septembre 2011

Le défi de l’intégration des immigrants (3) L’héritage de Pierre-Elliot Trudeau

Pierre-Elliott Trudeau a été premier ministre Trudeau de 1968 à 1979 et de 1980 à 1984 aux belles heures du nationalisme québécois. Libéral et antinationaliste, il s’est donné comme objectifs de faire du Canada « une société juste » et de combattre les velléités autonomistes du Québec. « Fini les folies », a-t-il clamé, à son arrivée au pouvoir. Pour lui, il ne pouvait être question de « nation québécoise ». Le Canada devait être la patrie d’individus porteurs de droits. Pour contrer le nationalisme québécois, il s’est donné comme objectif d’y opposer un nationalisme « fédéral ». C’est la tâche à laquelle il s’est attaché.

Ce faisant, il a travaillé avec acharnement à détourner l’objectif des nationalistes, tant autonomistes qu’indépendantistes, qui voulaient faire correspondre aux frontières du Québec une langue et une culture nationales. Il craignait que cela mène irrémédiablement à la création de deux Canadas. Il était nullement question de reconnaître le Québec comme une société distincte, et encore moins comme une nation. Pour lui question nationale se résumait à une décision des Canadiens français : désiraient-ils être une majorité dans un Canada libre et démocratique ou demeurer une minorité dans un Canada libre et démocratique? Son bilan : une nouvelle culture politique canadienne fondée sur le bilinguisme, le multiculturalisme et la Charte des droits et libertés.  Son héritage a affaibli la capacité d’intégration politique des immigrants au Québec.
Pierre Elliott Trudeau (1919-2000)

Devant les pressions qui s’exercent aujourd’hui sur la nation, l’acquisition de la « nationalité », c’est-à-dire le processus qui fait qu’à terme, un « immigrant » cesse d’être un « étranger » pour devenir membre de sa nation d’accueil, est devenu plus difficile, même dans les pays occidentaux à forte tradition d’immigration comme le Canada. Et cela est plus dommageable encore pour le Québec, petite nation à la situation démographique précaire et au statut indéfini. Les trois axes de la politique de Trudeau y ont contribué. Le bilinguisme, le multiculturalisme, et la Charte des droits et libertés ont donné une nouvelle identité au Canada.

D’abord, le bilinguisme adopté en 1969 et confirmé en 1982 a affaibli le projet des nationalistes révolutionnaires tranquilles de faire du Québec un État français. Cette politique visait à protéger les membres des minorités francophones des autres provinces dont les droits avaient été réduits depuis les années 1870. Il redressait ainsi un tort historique, même si pour la plupart de ces communautés, il était trop tard pour se développer pleinement. Au Québec, la mesure était populaire parce qu’elle obligeait enfin l’État fédéral à offrir des servir en français, ce qui n’était pas toujours évident à l’époque. Le revers de la médaille : il s’agissait d’un droit individuel, et non collectif : celui de tout Canadien d’aller à l’école et de recevoir des services fédéraux en français ou en anglais partout au Canada. De plus, cette politique réduisait la capacité du Québec de limiter l’accès à l’école anglaise.

En second lieu, la politique du multiculturalisme, première version, celle de 1971, qui encourageait la rétention des langues et les attitudes culturelles des pays d’origine. Cette politique a été adoucie en 1988, lors de l’adoption de la Loi sur le multiculturalisme, pour s’orienter davantage vers la lutte à la discrimination. Mais depuis l’enchâssement du principe du multiculturalisme dans la Loi constitutionnelle de 1982, le multiculturalisme est devenu un fondement de l’identité canadienne. Exit le « biculturalisme » cher aux Québécois.

Les conséquences sur l’existence de deux pôles  d’intégration, le pôle québécois, où on devrait s’intégrer en français, et le pôle canadien-anglais qui n’a jamais eu de problème à intégrer en anglais, sont considérables. Je ne crois pas que Trudeau ait voulu torpiller la politique d’intégration au Québec : c’est quand même lui qui a autorisé que le Québec fasse la sélection des immigrants sur son territoire, par l’accord Cullen-Couture. Mais la nouvelle définition du Canada, multiculturel et bilingue d’un océan à l’autre, n’offre pas clairement aux nouveaux Québécois l’image d’un pays binational.

Autre obstacle à l’intégration des immigrants à la nation d’accueil : l’utilisation faite de certains articles des chartes des droits et libertés qui nuisent à la création d’un lien social tant au Canada anglais qu’au Québec. À l’origine, ces chartes avaient un objectif universaliste : protéger chacun contre les abus de pouvoir des majorités. Elles sont devenues un prétexte pour des revendications qui accentuent la fragmentation de la société. Beaucoup de recours devant les tribunaux pour la sauvegarde de droits sont en fait des revendications politiques au nom de groupes particuliers. Qu’on pense aux articles qui protègent la liberté religieuse, qui sont invoqués pour protéger des pratiques culturelles communautaristes. Ou encore aux droits à l’égalité, censés protéger contre la discrimination les membres de certains groupes définis selon le sexe, l’orientation sexuelle ou autre, et qui donnent lieu à des mouvements identitaires en concurrence avec l’identité nationale.

Les élites québécoises ont longtemps été coupables du manque d’intégration des immigrants à la majorité francophone. L’Église catholique, responsable de l’éducation, les repoussait vers les écoles anglaise, même lorsqu’ils étaient catholiques. Même à l’église, on ne les laissait pas se mélanger avec les Canadiens français. On avait institué des paroisses « nationales ». « Vous êtes Italienne? Allez vous marier dans votre église de la Petite Italie. » Par conséquent, 80% des immigrants s’intégraient en anglais au Québec.
Cérémonie d'assermentation de nouveaux citoyenx

Dans les premières années de la Révolution tranquille, les autorités politiques ont décidé que l’immigration deviendrait un facteur de renforcement du fait français. Mais le Québec n’est qu’un demi-État qui ne contrôle pas entièrement sa politique d’immigration, qui n’octroie pas de citoyenneté « québécoise », et qui n’a pas d’armée. Il lui reste une politique d’éducation pour faire des « nouveaux arrivants » des Québécois. Depuis 1977, on admet enfin les enfants d’immigrants à l’école française. Les enfants de la Loi 101 sont le Québec de demain. Est-ce qu’à elles seules les écoles suffiront à en faire des Québécois, à l’heure où on n’y enseigne plus l’histoire nationale? Il y a matière à s’inquiéter.

La Chambre des communes d’Ottawa eu beau reconnaître en 2006 « les Québécois et les Québécoises » comme une nation au sein d’un Canada uni, le Québec demeure une province comme les autres. On a raté le train de la souveraineté en 1995 et on ne sait pas à quelle heure il repassera. Les forces de la mondialisation évoquées dans le dernier article se conjuguent avec l’héritage de Trudeau pour rendre plus difficile l’intégration politique des nouveaux Québécois. 

mercredi 21 septembre 2011

Le défi de l'intégration des immigrants (2) Quand cesse-t-on d'être étranger?

La semaine dernière, mon regard a été attiré par un titre qui coiffait le témoignage d’une « ancienne immigrante » dans un journal. Cette expression inusitée est contraire au mythe populaire qui veut qu’une personne née hors du pays reste immigrante toute sa vie. D’ailleurs, en France, on dit bien d’une personne qu’elle est « immigrée », ce qui signifie que son passage est terminé. Ici, on dirait qu’il ne l’est jamais.


Il y a quelques années,  j’ai  assisté à une conversation cocasse dans un dépanneur du quartier Saint-Michel. Un Québécois d’origine canadienne-française d’une soixantaine d’années  (il y a des piliers de dépanneur comme autrefois des piliers de taverne) était accoudé, racontant ses exploits alors qu’il vivait à Haïti. Entre une jeune femme noire avec sa fille. Il l’apostrophe : « Oui, madame, quand j’étais dans votre pays, j’ai connu Duvalier, les boubous macoutes, etc. » Elle l’interrompt pour lui répondre : « J’ignore de quoi vous parlez, monsieur, je suis née au Québec. » Aux yeux de certains membres de la société d’accueil, le statut d’étranger est transférable d’une génération à l’autre.

Bien sûr, être étranger, ce n’est pas seulement dans l’œil de l’Autre. On l’est objectivement à son arrivée, mais à force de fréquenter la population d’accueil, on connaît sa culture – pas seulement ses artistes, mais l’ensemble de ses « manières de penser, sentir, agir », comme l’a écrit le grand sociologue Guy Rocher. Bref, on finit par ne plus être étranger. On fait partie de la société d’accueil, on fait sienne sa nouvelle nation. On devient « un ancien immigrant ». Au demeurant, cela n’empêche personne de faire partie de plusieurs nations. D’avoir une identité multiple. Voire même cumuler les identités canadienne, québécoise et celle de son pays de naissance.

Or, la nation a la vie dure en ce moment. Elle est assaillie de toutes parts, par la mondialisation des marchés, des idées, des personnes. Les frontières sont poreuses, on les franchit allégrement. On peut vivre dans plusieurs pays et ne se réclamer d’aucun. Même la notion d’étranger semble avoir disparu : l’ancien Bureau des étudiants étrangers de l’Université de Montréal est devenu le Bureau des étudiants « internationaux ». Les étudiants venus d’autres pays seraient « entre les nations »? Seraient-ils apatrides ou citoyens du monde? Chose certaine, ça n’existe plus les étrangers.

Bref, il semble qu’un « nouvel arrivant » soit condamné à être étranger toute sa vie ou à n’être rien du tout. Mais n’a-t-on jamais pensé qu’il puisse devenir Québécois (ou Canadien) à part entière?  Il me semble que de tout temps l’objectif de l’immigrant a été de s’installer dans un nouveau pays et, après une certaine période d’adaptation, d’en acquérir non seulement la citoyenneté, mais aussi la « nationalité » dans le sens le plus plein du terme. Oui, c’est possible. J’en connais qui sont à bien des égards plus québécois que moi qui suis né ici.

J’ai des amis en Écosse qui sont nés, lui en France, elle en Angleterre et qui militent activement pour le Scottish National Party. Ce serait comme si un Allemand et une Ontarienne anglophone feraient du porte-à-porte pour le PQ. Pour paraphraser le regretté Philippe Seguin, ancien président de l’Assemblée nationale française : « Plus Québécois que ça, tu meurs! »

Devenir Québécois c’est s’intégrer à plusieurs niveaux : linguistique, culturel, économique et politique. Dans les années 1960 et 1970, on a beaucoup parlé de l’intégration linguistique. En 1995, de l’intégration politique (rappelez-vous « de l’argent et des votes ethniques »). En 2007, de l’intégration culturelle (les « accommodements raisonnables »). Aujourd’hui, de l’intégration économique. Ces débats démontrent que l’intégration est une chose importante pour tous (les intégrants comme les intégrés!) et qu’à chaque niveau, des efforts doivent être consentis par les immigrants et par la société d’accueil.

jeudi 8 septembre 2011

Le Parti Québécois, un parti comme les autres?

Le Parti Québécois (PQ), fondé en 1968 par René Lévesque, est une coalition de nationalistes de gauche et de droite qui vise à prendre le pouvoir pour faire du Québec un État souverain. Pour ce faire, il doit rassembler une vaste coalition de forces sociales favorables à la souveraineté et convaincre un grand nombre d’électeurs d’appuyer son projet. La principale difficulté du Parti québécois est de vivre avec son double rôle d’expression politique d’un mouvement social et d’organisation partisane voulant exercer le pouvoir au Parlement de Québec.

Le Parti Québécois a pris le pouvoir à deux reprises et a organisé deux référendums. En 1976, ce fut possible en raison de la grogne contre le gouvernement de Robert Bourassa. La stratégie de « l’étapisme », qui visait à séparer la question nationale de celle de la gouvernance, a fait en sorte que le PQ s’est faufilé au pouvoir avec 41% des votes, même si encore peu de gens étaient en faveur de la souveraineté politique (c’est-à-dire l’indépendance). Cette option n’a obtenu que 40% d’appuis en 1980 et malgré tout, le Parti Québécois fut réélu avec 49% l’année suivante avant d’être battu en 1985.

Lorsque le PQ a repris le pouvoir en 1994, les Québécois avaient entendu parler de la question nationale constamment depuis qu'en 1986 Robert Bourassa avait énoncé les conditions minimales pour la ratification de la constitution canadienne par le Québec. Et c’est sans compter la période de nationalisme intense, de 1960 à 1980, qui était encore fraîche dans bien des mémoires. Après l’échec de l’accord du lac Meech et de l’entente de Charlottetown, grâce auxquels le Québec aurait obtenu bien peu de choses, soit le « statut de société distincte », les Québécois avaient conclu qu’il était impossible de réformer le Canada.

Dès son arrivée à Québec, le gouvernement de Jacques Parizeau a voulu élargir la coalition souverainiste. On a « dépéquisé » la souveraineté pour attirer des souverainistes qui ne seraient pas partisans du Parti québécois. Il y avait déjà le Bloc québécois (BQ) de Lucien Bouchard, puis il a obtenu l’appui de Mario Dumont de l’Action démocratique du Québec (ADQ). Enfin, les Partenaires pour la souveraineté ont mobilisé des segments importants de la société civile (centrales syndicales, artistes, intellectuels, et même des pompiers et des religieux…). D’où la quasi victoire du Oui en 1995.

Mais depuis, les partis souverainistes ne parlent plus de souveraineté, sauf lors des réunions partisanes, dans le but de garder à leur service leurs militants les plus motivés. Ils se concentrent sur la critique ou la proposition de politiques gouvernementales. Ainsi, quel message reçoit l’électorat? La souveraineté n’est pas l’instrument d’émancipation du peuple québécois. Tout se passe comme s’il fallait d’abord régler les principaux problèmes du Québec avant de parler de souveraineté. C’est comme cela que Mario Dumont, souverainiste en 1995, a graduellement éliminé cette option du programme de l’ADQ. Quelques années plus tard, c’est Lucien Bouchard qui a tout laissé tomber et s’est rangé dans le camp des désillusionnés.

Évidemment, je réfute cette logique qui veut que la souveraineté est un luxe qu’on se payera le jour où on sera tous riches et en santé. Le problème se situe dans l’absence de discours public en faveur de la souveraineté. Rien à voir avec la stratégie. Celle des conditions gagnantes, mise en place par les premiers ministres péquistes à partir de 1996, relevait de l’évidence. On ne ferait de référendum que le jour où on serait sûr de le gagner. En effet, un référendum gagnant est la modalité incontournable du succès d’une déclaration d’indépendance. Mais encore faut-il au préalable convaincre la population de l’opportunité de changer le statut du Québec. Et ce n’est pas en une campagne référendaire de 35 jours qu’on y arrivera.

À force de ne plus parler de souveraineté, les leaders des partis souverainistes n’ont plus l’air d’y croire eux-mêmes. Comment voulez-vous que la population, autrefois fortement mobilisée en sa faveur (jusqu’à 60% dans les sondages en 1990-1991), s’intéresse encore à l’accession du Québec au statut de pays souverain? Premier signe de cette désaffection, la disparition du Bloc québécois. Après avoir mis l’accent sur la promotion de la souveraineté, le BQ s’est concentré sur les intérêts du Québec. Il est devenu une « police d’assurance », malgré la mise en garde de Lucien Bouchard. Combien de personnes ayant voté BQ depuis 1993 se sont posé cette question en mai dernier : « Pourquoi donc je voterais pour le Bloc? » Pour la souveraineté, pardi!

Que se passe-t-il maintenant au PQ? On parle de « gouvernance souverainiste », qui n’est rien d'autre qu’une deuxième couche d’étapisme : revendiquons de nouveaux pouvoirs à Ottawa, et lorsqu’on nous les aura refusés, la population se remettra d’elle-même à penser à la souveraineté. Pas sûr que cela marche. En 2000, le gouvernement fédéral a adopté la loi sur la clarté référendaire par laquelle il affirmait être le seul juge du résultat d’un référendum sur la sécession. Cet affront a été reçu dans la quasi-indifférence au Québec. Les Libéraux fédéraux ont même fait des gains aux élections de 2000.

Alors, comment en vouloir à ceux qui ont quitté le navire au début de l’été parce que le PQ a cessé de parler de souveraineté après 43 ans d’existence? S’agit-il de personnes pressées, radicales ou tout simplement cohérentes? La réaction de la cheffe Pauline Marois a été de demander au Conseil de la souveraineté, un organisme peu actif qui devait remplacer les Partenaires pour la souveraineté, d’organiser des États généraux pour voir à coordonner des « États généraux » où des souverainistes de toute affiliation, ou sans affiliation, de parler de souveraineté entre eux.

À la sortie du caucus de l’Opposition, où ses députés ont encore resserré les rangs, Madame Marois a déclaré vouloir se concentrer sur les questions concrètes qui préoccupent la population : le sort des personnes âgées, l’état des routes, etc. Et la souveraineté dans tout cela? Ne doit-elle pas nous donner les instruments de d'achever les réformes de la Révolution tranquille? Après la « dépéquisation » de la souveraineté, en 1994, sommes-nous en train d’assister à la « désouverainisation » du PQ?

Si le PQ ne fait plus de la souveraineté son objectif principal, il perd sa raison d’être. Ou alors, il devient un parti comme les autres sur un échiquier qui comprendra quatre ou cinq partis, selon que l’ADQ se joindra ou non à la Coalition pour l’avenir du Québec de François Legault. Et que s’est-il passé en 1973, lors d’une élection à quatre partis, grâce aux déformations de notre mode électoral uninominal à un tour ? Robert Bourassa a fait élire 102 députés sur 110! D’accord : les Libéraux avaient eu presque 54 %. Un autre exemple? Les élections de 1976 où le PQ a obtenu une majorité avec 41%. Bref : la dispersion actuelle de l’électorat favorisera la réélection de Jean Charest.

1973
% vote
# sièges
1976
% votes
# sièges
Libéral
54,65
102
Libéral
33,78
26
PQ
30,32
6
PQ
41,37
71
Créditiste
9.92
2
Créditiste
(comprend le PNP)
5,45
2
Union nationale
4,92
0
Union nationale
13,28
11


À long terme, notre système électoral se stabilisera avec deux partis dominants qui s’échangeront le pouvoir, à moins que nous ne passions à un mode de scrutin plus proportionnel. Donc, la prochaine élection risque d’être une élection de réalignement. Après avoir vécu plusieurs décennies avec le Parti libéral et le Parti Québécois, c’est à dire avec un système de partis basé sur la polarisation autour de la question nationale, nul ne sait ce que sera la prochaine configuration. Un échiquier gauche/droite? Peut-être. Bien que la tendance soit à un concours de personnalités (mais la concurrence est bien faible en ce moment). Et quels seront les deux membres du duo? Quels partis auront survécu? Le PQ éclatera sans doute s’il ne retrouve pas sa raison d’être originale, le ciment qui faisait tenir la coalition de nationalistes de gauche et de droite.

Alors oui! Il faut refaire la coalition souverainiste. Mais il n’y aura pas de souveraineté sans gouvernement souverainiste. Pour cela, les souverainistes doivent se regrouper sous une seule enseigne. Et un parti souverainiste doit parler de souveraineté avant, pendant, après les élections. Les Québécois sont fatigués d’entendre parler de stratégie. Ils veulent un projet de pays.

mercredi 31 août 2011

Le défi de l'intégration des immigrants (1) Une tendance irréversible

Les migrations internationales font en sorte d'amener chez nous de plus en plus d'immigrants. Une nation ne peut pas « absorber » plus qu’une certaine quantité de nouveaux arrivants sous peine de se mettre en minorité. Ce serait comme tenter de conquérir un pays plus grand et plus populeux que le sien. La plupart des observateurs s’entendent là-dessus. Mais où est la limite? Le débat est en cours depuis un certain temps. Tout à tour, des sociologues, des ministres et même François Legault ont remis en doute la politique des portes grandes ouvertes.

Je suis heureux de constater qu’enfin, on a fini par dépasser le stade où poser la question, c’était passer pour xénophobe ou « nationaleux ». Il y a pourtant longtemps que les nationalistes québécois modernes, ceux qui dominent depuis les années 1960, ont inversé la relation négative qui existait entre l’immigration et la nation. Auparavant, il s’agissait d’un rapport d’exclusion : même les catholiques venus des autres pays et voulant s’installer au Québec étaient refoulés vers les écoles anglaises. L’Église catholique a même créé des paroisses « nationales » pour éviter que les brebis canadiennes-françaises ne soient en contact avec des influences étrangères.

Mais à la fin des années 1960, devant la chute de la natalité, les autorités politiques se sont donné pour objectif de faire jouer l’immigration en faveur du fait français et, par conséquent, de mettre la majorité québécoise en rapport d’inclusion avec les immigrants. Jusqu’alors, 80% des immigrants s’intégraient en anglais au Québec. Voici ce que déclarait le tout premier titulaire du ministère de l’Immigration du Québec, Yves Gabias, en décembre 1968 :
« Nos représentants du Gouvernement du Québec feront en sorte que les personnes qui demanderont à venir au Québec en seront qui pourront s’intégrer à notre communauté francophone et en plus désireront nous aider à perpétuer le fait français au Canada et en Amérique du Nord ».


Une des grandes réussites de la Révolution tranquille, c’est d’avoir obtenu le contrôle de l’immigration sur notre territoire : la sélection, l’intégration et la fixation des niveaux annuels sont maintenant entre les mains de Québec, pas d’Ottawa. De plus, avec la Loi 101 entrée en vigueur en 1977, les immigrants et leurs enfants sont scolarisés en français.

En 2010, le Québec a accueilli un nombre record de 54 000 immigrants. Déjà, en 2006, 11,5% des Québécois étaient nés à l'extérieur du Canada, par comparaison à 9,9% en 2001. (À noter que je ne compte pas ceux nés dans les autres provinces du Canada comme des étrangers. Et au train où vont les choses, ce n'est pas demain la veille que le Canada deviendra un pays étranger…)

Que nous réserve le recensement de 2011? Sans doute une surprise aussi grande que celle qu’on est en train de vivre aux États-Unis. Les résultats du recensement de 2010 sont rendus publics graduellement depuis quelques mois. À leur grande surprise, les Américains assistent à une diversification accélérée de leur tissu national. Un seul exemple : le nombre d’Américains d’origine hispanique a plus que doublé en 10 ans. Aujourd’hui, un mariage sur sept est interethnique. On prévoit qu’en 2042, les Blancs seront minoritaires au pays de l’Oncle Sam. 

Je risque une prédiction. La surprise du recensement de 2011, ce sera le nombre phénoménal de Néo-Québécois maintenant « en région », c’est-à-dire dans ce Québec dit « profond » ou traditionnel. En visite dans ma terre natale des Bois-Francs cet été, j’ai constaté qu’une bonne part des travailleurs agricoles était du Guatemala. Il ne s'agit dans ce cas que de travailleurs saisonniers, mais dans bien des usines et des chantiers, ils deviennent résidents permanents puis citoyens.

Travailleur agricole guatémaltèque dans un champ de bleuets

La présence d’immigrants dans les villes dites « secondaires » s’explique par le besoin de main-d’œuvre. L’intégration s’y fait dans des conditions fort différentes qu’à Montréal, le foyer principal des Néo-Québécois. D’abord, les nouveaux arrivants ne s’aventurent à l’extérieur de la métropole que lorsqu’ils sont certains d’avoir de l’emploi. Ensuite, contrairement à Montréal, la prédominance du français est évidente.

Autrement dit, le problème reste entier pour la région de Montréal : trop d’immigrants sont sans emploi, ou alors ils sont refoulés dans de sordides « sweatshops », des endroits qui échappent à la Charte de la langue française, sinon au ministère du Revenu. Le défi de l’intégration reste entier. C’est pourquoi le débat qui s’amorce est si important. À suivre…   

mercredi 24 août 2011

Le monde selon Jack

La nouvelle de sa disparition est arrivée soudainement. Elle m'a surpris, mais pas étonné. L'état dans lequel il était lorsqu’il s'est adressé à nous le 25 juillet dernier m’avait laissé inquiet. Je doutais fort de son retour à temps pour la rentrée parlementaire d'automne. Mais de là à le penser si proche de la mort... Aujourd'hui, toute la classe politique, et une bonne partie de la population canadienne, est en deuil d'un homme exceptionnel. Le dernier paragraphe de sa lettre d'adieu nous révèle pourquoi:

« Mes amis, l’amour est cent fois meilleur que la haine. L’espoir est meilleur que la peur. L’optimisme est meilleur que le désespoir. Alors aimons, gardons espoir et restons optimistes. Et nous changerons le monde. » (Pour le texte complet, cliquez ici, mais n’oubliez pas de revenir!)
On retrouve ici toute sa foi dans l'action collective au service du bien commun. Un antidote contre la désillusion ambiante qui plombe actuellement la plupart des partis politiques. Il nous a dit que tout était encore possible, à condition de sortir de notre égoïsme et de notre individualisme. Toute sa personne respirait cette confiance en l'avenir. C'était la recette de son succès politique. Une telle attitude de leadership, à l'heure de la rationalisation de l'État et de la gestion de la décroissance gouvernementale, a mobilisé beaucoup d'électeurs désemparés. Espérons que ces paroles inspireront le prochain leader de son parti. Ce seront « de grands souliers à chausser », comme le dit l'expression calquée sur l'anglais, que celles de Jack Layton. En fait, la barre sera trop haute : quelqu'un prendra sa place, mais Jack Layton ne sera jamais remplacé.


Jack Layton et Olivia Chow

* * *
Les dernières paroles de Jack Layton me rappellent celles de Jean Paul II - oui! le Pape! - à l'intention de ses compatriotes polonais qui luttaient contre la dictature « N'ayez pas peur, changez la face du monde! », lors de son premier voyage à Varsovie en juin 1979. Bon, d'accord... Le régime de Stephen Harper n'est pas celui Edward Gierek. Et je ne partage pas la plupart des idées de Jean Paul II non plus. Mais c’est le même message d’espoir.

* * *
Un autre souvenir, plus récent celui-là, m'est également inspiré par la disparition inopinée de Jack Layton. Le 27 octobre dernier, ma compagne et moi étions à Buenos Aires le jour de la mort subite de Néstor Kirchner, ex-président de l'Argentine, lui aussi né en 1950. Kirchner est reconnu comme le leader politique qui a sorti l'Argentine du marasme économique. À la fin de son premier mandat, il ne s'est pas représenté pour soigner un problème cardiaque. Son épouse, Cristina Fernandez de Kirchner, lui a succédé pour un mandat. Elle devait lui laisser la place au mandat suivant. Et pan! Crise cardiaque. L'espoir du retour de Kirchner, comme celui de Layton, fut abattu en plein vol.

Néstor Kichner et Cristina Fernandez
La nouvelle du décès de Kirchner, comme celle de Layton, s'est répandue instantanément dans tout le pays. Coïncidence, c'était le jour du recensement national et tout était fermé jusqu'à 18 h. Mais là, sur la Plaza de Mayo, quel rassemblement de péronistes! Nous y avons partagé le deuil des Argentins, un peuple de gens engagés.


Des fleurs pour Néstor

Des fleurs pour Jack
Le lendemain matin, l'ex-président était exposé en chapelle ardente dans la Casa Rosada, le palais présidentiel. Son épouse Cristina, sa sœur, son fils et sa fille ont veillé le cercueil toute la journée et reçu les condoléances des chefs d'État latino-américains pendant que défilait devant eux le peuple endeuillé qui leur criait des mots d'encouragements.
Nous avons pu entrer vers 23 h 30, mais avions raté de peu Hugo Chavez du Venezuela et Lula da Silva, encore à la tête du Brésil. Dehors, le parterre du palais était couvert de fleurs. Tout comme l'est aujourd'hui celui du domicile de Jack Layton.

Fuerza Cristina Fernandez.

Fuerza Olivia Chow.

mercredi 10 août 2011

Haro sur l'économie financière

Les crises financières qui nous guettent démontrent encore une fois les contradictions du capitalisme contemporain et le tort infligé par les politiques néolibérales à la régulation de l'économie. Elle vient nous rappeler que les assises de l'économie moderne sont viciées par la distance qui existe de nos jours entre l'économie réelle et l'économie financière.



Au début, fut la révolution industrielle. L'entrepreneur créait une entreprise répondant aux besoins de la société, en embauchant dans des manufactures des artisans devenus ouvriers, en leur fournissant la machinerie et les matières premières et en cherchant constamment les manières de réduire le prix de vente de ses produits en améliorant la productivité et la taille de son usine. Évidemment, le profit était son objectif ultime, mais les moyens d'y parvenir passaient par l'emploi et la satisfaction des besoins des consommateurs.

On objectera que l'exploitation des travailleurs a aussi servi aux entrepreneurs pour améliorer leur position concurrentielle et que la mécanisation en a acculé un grand nombre au chômage, ce qui résulta en une pression à la baisse sur les salaires, mais la réglementation gouvernementale, l'essor du syndicalisme et les programme sociaux créés après la Grande Crise ont finalement rétabli l'équilibre au sein des économies nationales. S'ensuivirent les Trente Glorieuses (1945-1975), l'âge d'or des pays dits avancés.

L'économie capitaliste est basée sur le profit et la croissance. Comme un avion, elle s'écrase si elle ne maintient pas une certaine vitesse. Les échanges commerciaux internationaux ont fait déborder les entreprises du cadre national. Les accords de libre-échange régionaux et mondiaux ont globalisé l'économie. Les entreprises sont devenues transnationales. Les États ont accepté de limiter leurs interventions dans l'économie et, pour éviter que les entreprises nationales ne soient désavantagées face à leurs concurrents, commencèrent à abaisser les impôts aux entreprises locales pour les rendre concurrentielles puis ceux des particuliers, pour éviter l'exode des hauts salariés. L'État, privé de moyens financiers et législatifs, ne peut plus discipliner les entreprises multinationales, ni assurer adéquatement le financement des services publics de base.

Mais ce nouveau capitalisme global souffre de dérèglements internes qui tirent leur origine du capitalisme financier. Au XIXe siècle, les entreprises en croissance assuraient leur financement grâce aux banques. Puis, on inventa la société par actions, qui permettait à plusieurs entrepreneurs de mettre ensemble leur capital et leur crédit pour acquérir des « parts » des entreprises. Ce fut la première étape de la distanciation entre l'économie réelle et l'économie financière. Dorénavant, les propriétaires, devenus actionnaires, laisseraient à des gestionnaires la conduite quotidienne des opérations des entreprises, qu'elles soient du secteur primaire (extraction), secondaire (fabrication) ou tertiaire (services). Leur principale préoccupation : la rentabilité.

Cette évolution finit par avoir d'importants effets pervers. Les investisseurs furent de moins en moins nombreux à se préoccuper de la réalité des entreprises, de leur production, de leur rentabilité, de leur pérennité qui ne devinrent que des facteurs parmi d'autres, déterminant la valeur de leurs actions. Tout ce qui importait pour eux, c'était la valeur de leurs actions. Des exemples récents attestent de cette dérive: L'usine Electrolux de l'Assomption déménagera aux États-Unis, parce qu'elle y sera plus rentable, grâce à des salaires moins élevés et la décision des autorités de l'État du Tennessee et de la ville de Memphis d'utiliser les maigres impôts des contribuables pour la financer. La société pharmaceutique Merck, très rentable, éliminera 13 % de ses emplois afin de fournir un meilleur rendement aux investisseurs.

Mais le capitalisme financier obéit également à des phénomènes moins rationnels qui, eux, n'ont aucune lien avec l'économie réelle. Les prix des actions sont moins déterminés par la valeur objective des entreprises et de plus en plus par la perception des « marchés », c'est-à-dire les institutions financières qui manipulent les actions au nom des investisseurs et de leurs courtiers. La décision d'acheter des actions est fondée sur la perception de croissance de la valeur de ces actions, et non pas sur l'état de l'entreprise dont elle détermine la propriété. Et la décision de se départir d'actions est fondée sur la perception que ces actions vont perdre de la valeur. En d'autres termes, l'économie financière est dictée par la psychologie, pas par l'économie.

Lorsqu'une simple rumeur court voulant que la valeur en bourse d'une société va diminuer, on se précipite pour se départir de ses parts. Du coup, par l'effet de l'offre et de la demande, l'action perd de sa valeur. C'est ce qu'on appelle une « prophétie créatrice ». Les hauts et les bas de la bourse sont le résultat de cet effet de meute.

Plus encore, les « produits financiers » sont faits de plus en plus de « paniers d'actions » (fonds communs souvent composés eux-mêmes de parts dans des fonds communs) ou de « produits dérivés » hautement spéculatifs (comme des billets fondés sur le prix futur d'une action ou les fameux papiers commerciaux adossés à des actions). Où est l'économie réelle là-dedans? À la remorque de l'économie financière. Comme beaucoup de crises précédentes, la crise de 2008 a fait la démonstration une nouvelle fois que l'effondrement des bourses entraîne la fermeture d'entreprises, la mise à pied de travailleurs et la détresse sociale.
 
Ne faudrait-il pas « réformer le capitalisme » comme l'a si justement suggéré le président Sarkozy, dans un de ses rares bons coups de gueule? Mais dans un système international formé seulement d'États souverains devenus impuissants, comment faire? Les institutions internationales n'ont pas de pouvoir de contrainte, comment en avaient les États avant que les entreprises ne soient transnationales. Les seuls lieux où pourraient se prendre des décisions contraignantes dans leurs législations respectives sont le G8 et le G20, au moment où les banques, les maisons de courtage et les grandes entreprises étaient aux abois.



Les chefs d'État du G8

Au lieu de cela, chaque État a fourni des sommes faramineuses pour les renflouer, à partir des fonds publics qui ne sont dorénavant plus disponibles pour financer les services publics. Regardons où en sont rendus les États-Unis. Des déficits successifs nourris depuis George W. Bush par les guerres, les baisses d'impôt et les plans de sauvetage des entreprises du capitalisme financier. Pire encore, le plan budgétaire adopté il y a une semaine n'est pas crédible parce qu'il ne comprend pas la hausse d'impôt qui permettrait à terme de rétablir le nécessaire équilibre sans démanteler les programmes sociaux.

Les apôtres du néolibéralisme l'ont emporté encore une fois. Les entreprises n'ont plus de contrepoids, l'État national étant devenu impuissant, et les institutions internationales ne font pas le poids. Chaque pays, abandonné à lui-même, pratique le chacun pour soi.

Notre indifférence et notre défaitisme politique nourrissent notre sentiment d'impuissance, et cela n'arrange rien. Pis encore, parce que le capitalisme financier s'est « démocratisé », nous faisons nous aussi partie de cette machine infernale. En regardant fondre nos REER cette semaine, rappelons-nous que nous somme partie au système.