mardi 31 janvier 2012

Changer la politique ?

La politique a mauvaise presse. Prenez le Bye Bye 2011. Certains ont dit qu’il était déprimant et linéaire et qu’on y parlait trop de politique. Le 3 janvier, le journal Métro titrait en page 12 « La politique écrase le Bye Bye 2011 ». C’est bien simple, la politique ne vaudrait même plus la peine qu’on se moque d’elle! Je vous le dis : si le Bye Bye de l’an dernier laissait à désirer, ce n’est pas parce qu’on y a parlé de politique, mais parce qu’on y pratiquait un humour grossier. À preuve, l’émission Infoman de Jean-René Dufort a surtout visé les politiciens et, ma foi, était beaucoup plus drôle.

Cela dit, pour bien des gens, tout ce qui est politique est devenu sale. Dès qu’ils défendent un point de vue, on accuse les politiciens de « faire de la politique ». Comme si l’ingrédient essentiel de la politique n’était pas le leadership, justement : tenter de mobiliser la population vers un objectif commun. Au contraire, la désillusion envers la politique est telle qu’il faudrait museler les politiciens, il faudrait « changer la politique ».

Le référendum d’initiative populaire

Le Parti Québécois est entré dans ce rituel lors de son conseil national dont on a surtout retenu une proposition : le référendum d’initiative populaire (RIP). Inventé par la droite populiste américaine, cet outil permet à un mouvement d’opinion d’imposer une consultation sur un sujet donné. Il peut aussi servir à initier un processus de révocation d’un élu. Au Québec, le stratagème a été récupéré par l’aile impatiente du PQ (les Caribous), afin d’obliger le prochain gouvernement souverainiste (s’il y en a un) à tenir un référendum sur la souveraineté.

Que le Parti Québécois ne soit pas pressé de parler de souveraineté, je le déplore autant qu’eux. Mais le RIP est un outil dangereux, car il peut mettre les élus à la merci de mouvements d’opinions incontrôlables, dirigés par des leaders prompts à flatter les préjugés populaires, à l’encontre du bien commun. On n’a qu’à se rappeler le tout récent référendum en Colombie-Britannique, qui a servi à annuler à grands coûts l’harmonisation de la TPS et de la TVQ. D’ailleurs, le RIP pourrait se retourner contre les souverainistes : si un important groupe de fédéralistes amassait suffisamment de signatures pour organiser un référendum au mauvais moment, ce serait le dernier clou dans le cercueil de l’indépendance du Québec.

Dommage qu’on ait insisté sur cet instrument de contournement des élus et qu’on ait éclipsé les autres débats du Conseil national du PQ.  Ils avaient le mérite de faire ressortir les imperfections de notre système politique sans remettre en question la démocratie de représentation. À titre d’exemple : le vote à 16 ans et le mode de scrutin à deux tours. Ça n’a pas décollé, mais  ça vaut la peine d’en parler.

Le vote à 16 ans

Avec le vieillissement de la population, les gouvernements sont davantage sensibles aux plus vieilles générations, et  les jeunes, même ceux qui ont plus de 18 ans, se désintéressent de la politique et votent peu. Le vote à 16 ans aiderait à corriger ce déséquilibre. On dira qu’ils ne sont pas assez informés et responsables à cet âge. Peut-être. Mais la politique, ça peut s’apprendre jeune: à preuve, les fameux cours d’Histoire et éducation à la citoyenneté que nos jeunes reçoivent en 3e et 4e secondaire (15 et 16 ans).

Le mode de scrutin à deux tours

Ce n’est pas d’hier qu’on critique le mode de scrutin uninominal à un tour. En vigueur depuis la fin du XVIIIe siècle, il était fort adapté à l’époque où l’électeur choisissait un représentant pour sa circonscription au parlement. Avec l’avènement de la démocratie au milieu du XIXe siècle, le parti au pouvoir était celui qui était arrivé premier dans le plus grand nombre de circonscriptions. Peu importe le pourcentage de votes obtenus globalement. Ainsi, on a pu former des gouvernements majoritaires avec une pluralité de voix. Parfois même, le parti au pouvoir était arrivé deuxième au total des voix, mais premier au total des sièges.

Or, ce n’est plus ainsi qu’on vote aujourd’hui. Les campagnes électorales sont médiatisées. On vote pour les chefs et leur parti. On ne connaît parfois même pas le nom du candidat. En fait, celui-ci ne fait pas toujours campagne (comme les candidats du NPD en mai dernier). Quand j’étais candidat pour le Bloc Québécois en 1997, le député Louis Plamondon nous disait que le candidat local était responsable, au mieux, de 5 % du vote.

S’il est vrai qu’on vote « national » et non pas « local », notre mode de scrutin actuel crée des distorsions importantes. En 1944, 1966 et 1998, le parti majoritaire en termes de sièges était arrivé deuxième en termes de votes. Bien que majoritaires, les partis au pouvoir à Québec et Ottawa ont reçu respectivement 42 % (Parti libéral du Québec en 2008) et 39,6 % (Parti conservateur du Canada en 2011). Enfin, à moins d’être concentré géographiquement, tout parti politique ayant reçu moins de 20 % des voix est pratiquement rayé de la carte. Il s’ensuit que bien des gens renoncent à voter pour un tiers parti correspondant à leurs aspirations, et votent « stratégiquement » pour le moindre mal parmi les partis qui ont les chances de l’emporter dans leur circonscription.

Le mode de scrutin uninominal à un tour fait donc disparaître les options politiques disponibles, et tend à la formation d’un spectre politique formé de deux grands partis qui gravitent près du centre. Son seul avantage est de favoriser par sa distorsion la formation de gouvernements stables (parce que majoritaires).

Tous les partis se sont plaints à un moment ou à un autre des travers de notre mode de scrutin. La plupart ont proposé à un moment ou à un autre qu’on le remplace par un mode de scrutin proportionnel ou mixte. (Voir les arguments du Mouvement démocratie nouvelle.) Le gouvernement actuel a flirté avec l’idée, avant de la reléguer aux oubliettes en 2004. Or, les formules à la proportionnelle ont la fâcheuse tendance de provoquer des parlements sans majorité et donc instables. Ce n’est pas le cas du système à deux tours, en vigueur aux législatives et aux présidentielles, en France et dans d’autres pays.

Au premier tour, tous les partis, petits et grands, sont représentés. Les gens votent selon leur conscience, sachant que les deux grands partis, qui passeront au second tour, tiendront compte des résultats du premier tour quand viendra le temps de négocier des alliances. C’est le meilleur des deux mondes, quoi! Il était temps qu’un parti politique le propose.

Sortir de la passivité

Malheureusement, les débats sur la mécanique politique ennuient le public au plus haut point. À preuve : prononcez le mot référendum et vous serez reçu par une grimace!  Bien que le système politique soit perfectible, ce n’est pas en changeant la mécanique d’élection qu’on va ramener le citoyen aux urnes. Le problème en est un d’offre politique. À tort ou à raison, le public a l’impression qu’au mieux, les politiciens sont tous pareils, et au pire, qu’ils sont corrompus.

Nous ne sommes pas les seuls à connaître une telle crise de la démocratie. Comme l’écrivait Michel Wieviorka de l’ÉHESS de Paris, au sujet de la France actuelle : « Le système de partis aura rarement été aussi peu crédible, comme s’il était impuissant à affronter les difficultés économiques et financières du moment. »

L’appauvrissement de « l’offre politique » tire son origine de plusieurs causes : Les politiciens ont choisi la facilité en diminuant les impôts. Les analystes politiques adoptent une approche comptable, surtout au moment des budgets. Les médias ne s’intéressent plus qu’à la stratégie, rehaussant le cynisme. Mais la principale cause ne serait-elle pas la passivité même de l’électeur qui ne se déplace même plus pour aller voter?

Plus on dévalorise la politique, plus elle attire son lot d’opportunistes, qui débarquent pour accrocher leur visage aux poteaux de téléphone ou enrichir leurs amis. C’est lorsque le citoyen s’intéressera de nouveau à la politique que le débat public reflétera ses valeurs et que les partis attireront de bons politiciens.

Le système politique est le reflet ce que nous sommes devenus : désorientés, désengagés, indifférents, résignés. Plus on se désintéresse de la politique, plus le débat public est vide. Le mouvement des résignés s’est contenté d’exprimer un ras-le-bol, sans proposer de solution. Nous voulons un Québec français? Des voitures écologiques? Une juste répartition des ressources? Qu’on s'organise et qu'on le dise haut et fort! Et on finira par nous écouter!