samedi 31 décembre 2011

Un apolitisme désolant

L’année 2011 nous a apporté un lot d’événements qui attestent d’un grand désarroi politique, au Québec comme ailleurs sur la planète :

·        La mise en tutelle des États nationaux par « les marchés »,

·        La descente aux enfers des libéraux (l’ascenseur s’arrêtera où au juste?),

·        L’implosion du Parti québécois,

·        La disparition du Bloc Québécois à la Chambre des communes,

·        Les sautes d’humeur de l’opinion publique québécoise, qui ont porté aux nues le NPD de Jack Layton, et élèveront peut-être bientôt la Coalition Avenir Québec de François Legault au pouvoir,

·        Le mouvement des indignés, qui expriment leur malaise devant tout ce qui va mal, mais qui rejettent de même souffle la politique comme moyen d’apporter des solutions.

Doit-on conclure à la chute de la démocratie de représentation? L’appareil politique ne répond pas à l’opinion comme avant. La règle de l’alternance entre le parti au pouvoir et l’Opposition officielle ne fonctionne plus. Des partis sans machine politique sont propulsés à l’avant-plan. Les taux de participation électorale tendent à la baisse.

D’aucuns ont parlé de la fin d’un cycle politique. Mais où cela nous mènera-t-il? Une fois qu’on a dit que les gouvernements se sont coupés de tous moyens en réduisant les impôts pour répondre aux impératifs de la mondialisation; que les politiciens sont « tous pareils », des opportunistes venus changer les règles de la société à leur profit ou à celui de leurs amis; que le mode de scrutin déforme la volonté réelle des électeurs; que le « crime organisé » a infiltré le processus d’octroi de contrats publics; a-t-on le droit de baisser les bras ou de se jeter dans ceux du premier venu qui prononce le mot « changement »?

Parlons-en du changement. Pour un, nous avons congédié le Bloc Québécois du jour au lendemain. D’accord, il ne faisait plus la promotion de la souveraineté. D’accord, la situation était bloquée à Ottawa depuis 2004 – avec trois parlements minoritaires au sein desquels les partis étaient en campagne électorale permanente. Mais qu’avons-nous maintenant? Un parlement « normal », avec un parti ministériel qui fait la pluie et le beau temps et une Opposition officielle invisible. Qui a défendu les intérêts du Québec à Ottawa depuis le 2 mai dernier? Le ministre Jean-Marc Fournier, allé témoigner devant un comité des Communes contre le démantèlement du registre des armes à feu! Faut le faire. Où était le NPD? Sais pas!

Pourtant, le Québec s’en est fait passer d’autres : le projet de loi sur les jeunes contrevenants, le retrait du Canada du Protocole de Kyoto, le juge de la Cour suprême et le Vérificateur général unilingues anglais, la diminution du poids de la province dans la Chambre des communes. Et le pire est à venir : le renouvellement des accords fédéraux-provinciaux sur la santé. D’accord, le Bloc n’aurait pu exercer le pouvoir à Ottawa, même au sein d’une coalition avec les libéraux et les néodémocrates, mais il était le seul parti à dénoncer les reculs du Québec sans compromis avec la majorité canadienne. Avec le NPD, contrairement à ce que certains de mes collègues politologues espèrent, nous risquons de n’y voir que du feu. Voilà où peut nous mener le « changement pour le changement ».

Notre désillusion envers la politique a de multiples sources. L’une d’entre elles est la brisure de l’impulsion donnée par la Révolution tranquille, et qui devait se compléter par l’accession du Québec au statut d’État souverain. Deux fois plutôt qu’une, le Québec a frappé à la porte de l’ONU, sans en franchir le pas.  Les fédéralistes québécois – les vrais, les autonomistes, ceux qui veulent que le Canada fonctionne comme une fédération binationale – ont aussi connu bien des déceptions[i]. Les multiples tentatives de changer la structure de la fédération canadienne dans le but d’accorder plus d’autonomie au Québec, surtout sous Robert Bourassa, n’ont rien donné sinon quelques arrangements administratifs sans protection constitutionnelle.

À force de ne rien obtenir, les Québécois ont fini par ne rien désirer. D’où ce cynisme qui semble faire chez nous plus de ravages qu’ailleurs. La formule de François Legault : mettre la question nationale sur la glace pour 10 ans (n’y est-elle pas déjà?) rejoint donc la sensibilité de bien des gens déçus, voire meurtris. Il faut d’abord régler les problèmes du Québec, dit-il. C’est justement la formule qu’avait employée Mario Dumont lorsque son parti, l’ADQ, a quitté le train souverainiste qu’il avait emprunté par simple opportunisme en 1995. La CAQ instrumentalise à son tour le ras-le-bol constitutionnel et le mécontentement de la population face à une classe politique qui nous paraît amorphe, une impression décuplée par la propension des médias à ne traiter l’actualité qu’en surface.

Parlons-en des problèmes du Québec! Un état rapetissé, un sous-financement chronique, un fonctionnariat démotivé, un gouvernement qui ne songe qu’à démanteler les sociétés d’État, un manque total de volonté de protéger le français comme langue de travail. On a beau dire que rien ne bouge, nous intéressons-nous vraiment à la chose publique?

Le désintérêt de la population face à la politique atteint des sommets. La recherche du bien commun a cédé le pas à la maximisation du bonheur individuel. Au moment où le Québec aurait besoin d’une nouvelle Révolution tranquille, de faire évoluer le Modèle québécois, on se préoccupe qui de ses droits de scolarités, qui de son fonds de pension, et tous de nos prochaines vacances.

Mon bilan de 2011? Le Québec a sombré dans un apolitisme désolant. Nous nous sommes déresponsabilisés de notre parcours collectif. Mon vœu pour 2012? Que nous retrouvions le goût des débats de société, des débats d’idées et, oui, de la question nationale. Car si nous avons abandonné le front outaouais, nous faisons toujours partie du Canada. Et le Canada, lui, se réinvente en s’éloignant de plus en plus du Québec.

Il y aura fort probablement une élection provinciale en 2012. Faudra-t-il donner du Ritalin à tout le monde pour que nous prenions le temps de nous intéresser à cette campagne? Cependant, pour forcer un débat d’idées, il faudra quitter nos fauteuils de spectateurs installés devant la télé, qui attendent de voir qui marquera le meilleur coup lors du débat des chefs avant de se faire une idée. Participer, c’est militer dans un parti, intervenir dans les médias, ou s’exprimer  dans nos milieux respectifs. En démocratie, c’est cela la politique.



Comme il est écrit dans une carte de vœux que je viens de recevoir: « Une page d'histoire est tournée. À nous d’écrire la prochaine! »


[i] Le dernier à s’y être cassé les dents est le néanmoins brillant ministre libéral des Affaires intergouvernementales canadiennes Benoît Pelletier qui, après avoir été complètement marginalisé par Jean Charest, est retourné enseigner le droit à l’Université d’Ottawa. Voir Une certaine idée du Québec. Parcours d’un fédéraliste. De la réflexion à l’action, livre publié aux Presses de l’Université Laval en 2010.