mardi 26 juillet 2011

Le don de soi

Pour avoir fréquenté le monde politique durant quelques années, tant à Ottawa qu'à Québec, j’ai identifié les quatre principales motivations des politiciens. Il y a ceux et celles qui se lancent en politique pour voir leur visage sur les panneaux et dans les journaux, et ceux qui le font pour faire avancer des idées. Il y a ceux et celles qui ont l’ambition d’exercer le pouvoir, soit pour réaliser de grandes choses, soit pour enrichir leurs amis. Dans la plupart des cas, la vie de ceux et celles qui réussissent à se faire élire ne leur  appartiennent plus. La politique est un don de soi. Ceux et celles qui y font carrière font un grand sacrifice. La plupart le font pour le bien commun. Jack Layton est un de ceux-là.

Jack Layton vient d’une famille de politiciens. Lorsque que j’ai travaillé à Ottawa, j’ai rencontré son père, Robert Layton, député conservateur de 1984 à 1993. Comme historien spécialisé dans l’époque de Maurice Duplessis, je savais que son grand-père avait été nommé ministre dans le cabinet de la province de Québec en 1936. La famille Layton entretient une tradition de service à la collectivité. 

La politique, ce sont les affaires de la Cité. Mais les politiciens n’ont pas la cote au Québec en ce moment. Il faut dire que ce n’est guère mieux ailleurs en Occident. Finie l’époque de l’expansion de l’État-providence où les partis se faisaient la guerre à coups de nouveaux programmes sociaux et de politiques économiques interventionnistes. Tout a changé. À l’heure des traités de libre-échange, les États ont renoncé à plusieurs de leurs moyens d’action. L’idéologie néolibérale prône des baisses d’impôts qui accentuent les crises budgétaires. Aujourd’hui, gouverner c’est gérer la décroissance. Le capital politique dont jouissent les politiciens à leur arrivée au pouvoir s’amenuise au fur et à mesure qu’ils prennent des décisions. À chaque mesure qu’ils prennent, ils déplaisent à quelqu’un, si bien qu’ils finissent par déplaire à tout le monde un jour ou l’autre.

Pourtant, nombreux sont ceux et celles qui se dépensent sans compter. J’ai côtoyé Bernard Landry lorsqu’il était ministre des Finances et vice-premier ministre. Parfois, son agenda semblait celui de trois personnes, qu’on aurait superposés sur le même calendrier. Même quand il ralentissait, on aurait dit qu’il travaillait en double. Bien avant qu’il ne soit premier ministre, Lucien Bouchard m’avouait que l’abandon de la pratique du droit lui avait coûté beaucoup, financièrement. Il considérait son engagement public – depuis qu’il avait été nommé ambassadeur en 1986 – comme un sacrifice. Il pensait à l’avenir de ses fils. Ce qui l’avait rendu le plus heureux, lorsqu’il a quitté la vie politique en 2001, c’était de redevenir maître de son agenda. Mais aujourd’hui, à l’âge où bien d’autres avocats se prélassent dans le Sud, il doit encore travailler.

De nos jours, les politiciens les plus populaires sont ceux qui n’ont jamais exercé le pouvoir. Jack Layton représente le renouveau en politique, ce qui explique l’extraordinaire appui dont il a joui chez nous lors de l’élection de mai dernier. À bien des égards, ce phénomène s’apparente à l’élection générale de 1993. Lucien Bouchard fut propulsé en un clin d’œil à l’avant-plan de la scène politique canadienne grâce aux électeurs du Québec.

La comparaison ne s’arrête pas là. En décembre 1994, chef de l’Opposition officielle à la Chambre des Communes, M. Bouchard était victime d’une maladie foudroyante qui faillit lui enlever la vie. Le Québec était atterré. Les témoignages de sympathie affluaient de partout, même du Canada anglais, des adversaires comme des partisans. Une députée réformiste déposa une rose sur son pupitre. Deux mois plus tard, à la grande surprise du premier ministre Jean Chrétien, il était revenu à son poste, juste à temps pour rencontrer le président américain Bill Clinton, en visite à Ottawa. La suite est bien connue : la victoire contre la maladie lui avait donné une telle aura, qu’il contribua à renverser la tendance durant la campagne référendaire québécoise, où le « oui » faillit l’emporter. Continuant sur cette lancée, il remplaça Jacques Parizeau après sa démission, et devint premier ministre du Québec au début de 1996.

Je souhaite à Jack Layton de recouvrer toute sa santé. Je le souhaite d’abord pour lui. Personne ne mérite de perdre la santé à 61 ans. Lui encore moins que les autres. Je le souhaite également pour ses électeurs, pour le Québec et pour le Canada. En cette période de morosité et de désillusion politique, nous avons besoin plus que jamais de leaders capables d’inspirer la population et de redorer le blason de la politique et du service public. S’il revient, son étoile brillera sans doute encore plus fort. Mais si, comme Lucien Bouchard, il est appelé à exercer le pouvoir, il devra composer avec l’érosion de son capital politique. Parviendra-t-il à conserver sa popularité assez longtemps pour revaloriser le métier de politicien ? La politique, à qui Jack Layton consacre sa vie, est une maîtresse ingrate.

lundi 25 juillet 2011

La crise des partis souverainistes (2)



Le mouvement indépendantiste québécois fait actuellement face à des vents contraires. Dans le billet de la semaine dernière, nous nous sommes interrogés sur la possibilité que le Bloc et le PQ aient eux-mêmes été la cause de leurs déboires, en devenant des éléments fonctionnels du système politique et en ne soutenant plus l’indignation de la population face à l’oppression nationale qui continue de toucher les Québécois et le Québec. Cependant, se pourrait-il que, comme l’écrivait récemment The Economist, le projet d'indépendance ne soit tout simplement plus pertinent pour un nombre de plus en plus grand de Québécois? Autrement dit : peu importe ce que diraient les politiciens souverainistes, la population ne serait ni réceptive à leur message, ni intéressée par un projet politique somme toute radical et peut-être dépassé?


D’accord, les sondages montrent que les intentions de vote pour la souveraineté se maintiennent autour de 40%. Mais en même temps, le nombre de personnes qui ne croient plus que le Québec deviendra souverain est en hausse constante. Cela rappelle les statistiques sur la religion dans les années 1970 : on se disait toujours catholique mais on n’allait plus à la messe. Si cela était le cas, la faiblesse des partis indépendantistes serait le résultat de phénomènes de fond, qu’il convient d’identifier avec plus de précision. Voici quelques « sous-hypothèses » qui peuvent jeter un plus grand éclairage.

1. La « réussite » de la Révolution tranquille. La modernisation du Québec et la mobilité sociale des francophones depuis 1960 ont fait en sorte qu’il ne semble plus nécessaire de pousser plus loin les réformes d’ordre politique. Le projet indépendantiste aurait donc été celui d’une génération.

2. L'individualisme et le matérialisme : la relative prospérité des dernières décennies aurait détourné les Québécois des projets collectifs : chacun se concentre sur son succès personnel : études, travail, voyages, REÉR. Les Québécois-e-s ne comptent plus sur l’État pour assurer leur épanouissement individuel et collectif. Sombre perspective : il s’ensuit qu’un regain d’intérêt pour la souveraineté devrait attendre la prochaine grande crise économique.

3. La crise de l’État : déficits budgétaires et accords de libre-échange réduisent l’efficacité des politiques gouvernementales. Pourquoi les Québécois voudraient-ils un État souverain alors que l’État est impuissant. À preuve : la Belgique n’a plus de gouvernement depuis plus d’un an, et les Belges ne s’en portent pas trop mal.

4. La désaffection vis-à-vis de la classe politique : on a l’impression que les politiciens sont impuissants et manquent d’imagination, à cela s’ajoutent les allégations de corruption. Il y a baisse de participation électorale, cynisme vis-à-vis des élus et rejet des partis politiques établis, dont le Bloc et le PQ.

5. La mondialisation des communications et des migrations entraîne une crise de la nation. L’ouverture sur le monde va de pair avec un désintérêt pour la culture et les institutions locales d’une part, et pour l’histoire et les traditions d’autre part. Signe des temps : dans nos universités, les cours sur le Québec et le Canada sont désertés au profit de ceux qui portent sur l’étranger.

Vous me direz que ce tableau est peu réjouissant pour les nationalistes et les indépendantistes. Je vous répondrai qu’il faut être réaliste (je préfère ce terme au mot « lucide ») et ne pas se voiler les yeux. Ceux et celles qui veulent poursuivre l’idéal national, sous sa forme autonomiste ou indépendantiste, doivent cesser de s’illusionner en se disant que le temps joue en leur faveur et qu’on n’a qu’à attendre que le fruit soit mûr. Le Québec et le monde ont changé depuis les années 1980 et 1990. Tout comme l’ont compris leurs prédécesseurs à des moments-charnières de l’Histoire, il leur faut tenir compte de la nouvelle donne et ré-imaginer le projet national pour le XXIe siècle. Nous y reviendrons.

lundi 18 juillet 2011

La crise des partis souverainistes (1)

Voilà que le tonnerre gronde au-dessus des nationalistes québécois. Plus précisément, il pleut sur les partis indépendantistes: élimination quasi-totale du Bloc en mai dernier, puis division du PQ, suivie de son effondrement dans les intentions de vote au profit d’un parti qui n’existe pas. Dans le Devoir du vendredi 15 juillet, le député Bernard Drainville a lancé une consultation sur l'avenir de son parti. Pauline Marois doit vraiment être inquiète pour laisser un de ses fidèles poser un tel geste.

Il faut dire que la cause indépendantiste fait du surplace depuis le référendum de 1995. D'abord, ce furent les assauts du gouvernement fédéral: la distribution drapeaux canadiens, la loi sur la Clarté référendaire, l'Union sociale canadienne, les commandites d'événements culturels et sportifs, cela vous rappelle quelque chose?

Puis, vinrent les questionnements sans fin sur la notion de « Québécois ». Dans la foulée du discours malheureux de Jacques Parizeau, qui avait en grande partie attribué la faute de la défaite référendaire à « des votes ethniques », il avait fallu éliminer toute trace du méchant nationalisme « ethnique » canadien-français, et jeter le discrédit sur tout ce qui avait été hérité de la période de la « Grande Noirceur ». Rien de bon n’aurait précédé la « Révolution tranquille » et son intouchable « Modèle québécois ». Qu'on me comprenne bien: j’ai moi-même adressé de nombreuses critiques au traditionalisme dépassé qui avait cours au milieu du XXe siècle, je célèbre les réformes des années 1960 et 1970, et je partage l'aversion des modernistes pour un nationalisme d'exclusion. Mais est-ce une raison suffisante pour bannir toute référence au passé dans le discours nationaliste québécois contemporain? Si celui-ci n’est pas la poursuite – certes sous une autre forme – de la volonté de survie de l'ancien peuple canadien-français, a-t-il encore une raison d'être?

Malgré tout, les deux principaux véhicules du mouvement indépendantiste sont restés à flot depuis le dernier référendum: le Bloc québécois a remporté la majorité des sièges et le plus grand nombre des votes à toutes les élections fédérales sauf à celle de 2000, et le Parti Québécois s'est maintenu au pouvoir ou dans l'Opposition officielle à toutes les élections sauf celle de 2007. À qui la faute, pour la spectaculaire débandade des derniers mois : aux  partis souverainistes ou au peuple québécois?

Voyons la première hypothèse. Le Bloc et le PQ se sont institutionnalisés. Le premier a défendu les intérêts du Québec dans la fédération et le second semble de plus en plus chercher le pouvoir pour le pouvoir. À l'origine, ils sont nés de mouvements sociaux qui demandaient l'émancipation du Québec. Mais ils se sont adaptés au système politique canadien et ont oublié leur raison d'être. Ils ont cessé de cultiver la flamme qui semble s’être éteinte, faute de renforcement.

À mon avis, on a mis la charrue avant les bœufs. On s’est mis à agir et à penser comme si l’indépendance était chose faite et que le français était en sécurité dans cette partie de l’Amérique du Nord. Ainsi, on est passé trop vite à un nationalisme de type majoritaire, alors que le Québec n'est toujours qu'une province du Canada. On s’est aussi gaussé du succès des réformes de la Révolution tranquille des années 1960 à 1980, en particulier de la Loi 101, en oubliant que la pérennité de la société francophone n'est toujours pas assurée. Autrement dit, les partis politiques indépendantistes auraient bien peu fait pour maintenir la conscience de l'oppression nationale et celle-ci aurait faibli au point de disparaître. Bien plus qu’en 1980, nous vivrions dans « le confort et l'indifférence », comme disait Denys Arcand.

Voilà pour la première hypothèse. Elle part du postulat que le peuple québécois a soif de souveraineté, mais que les messagers de la cause, les leaders souverainistes, sont responsables de sa déconfiture. Mais se pourrait-il qu’aujourd’hui le projet indépendantiste ne soit tout simplement plus pertinent pour un nombre de plus en plus grand de Québécois? C’est ce que nous allons explorer dans le prochain billet.

vendredi 15 juillet 2011

Toute petite la planète

Inaugurer un blogue au beau milieu de l’été comporte des risques. Qui a le cœur à se concentrer sur des sujets sérieux alors que tout son être est appelé à une très soutenable légèreté ? Puisqu’il me faut plonger, j’ai choisi de parler d’une constatation faite au cours de mes dernières vacances à l’étranger.

Trois pays en trois semaines. On dirait la pub d’un voyagiste. La France, la Catalogne et les États-Unis, c’est là où nous avons débuté nos vacances le mois dernier, ma compagne et moi, avec tout juste un petit arrêt à la maison, le temps de faire un lavage. C’est en lisant les journaux locaux que j’ai constaté une convergence incroyable dans l’actualité.

Vous connaissez la templière et hospitalière cité de La Couvertoirade ? C’est un des plus beaux villages de France. Il date du 12e siècle. Les rues sont larges comme une entrée de garage. Rien pour rappeler Québec. Pourtant : que vois-je au menu d’un restaurant? « Non au gaz de shiste! »




Bon d’accord. Cela, on le savait déjà par la télé. J’ouvre Le Monde : François Hollande se plaint que les sommets convoqués par l’Élysée sous couvert de concertation ne font qu’avaliser des choix déjà faits. Il me semble avoir déjà lu cela quelque part. Deux pages plus loin, une analyse du sexisme dans les institutions politiques : « Longtemps, le Parlement est resté un lieu réservé au hommes. » J’ai l’impression de lire Le Devoir. Pourtant, je suis en voyage à l’étranger.

Nous arrivons à Barcelone, prêts pour une bonne dose de dépaysement. El Periódico publie la carte des travaux routiers estivaux. Je vous jure que j’ai eu le réflexe d'y chercher le pont Champlain! À la télé, on passe un reportage sur les 30 ans de La Crida a la Solidaritat, une grande manifestation pour la défense de la langue, la culture et la nation catalane. Mélange du Samedi de la matraque de 1964 et de la parade de la Saint-Jean de 1968. Au Québec, on avait seulement quelques années d’avance.



D’ailleurs, on fêté la « Sant Joan » à Barcelone. Vous pensez qu’il est devenu dangereux de fêter la Saint-Jean dans la ville de Québec ? Ne mettez pas les pieds en Catalogne : les enfants font exploser des pétards sur les trottoirs, on allume des bûchers au coin des rues, on lance des feux d’artifice, les camions de pompiers se promènent dans tous les sens, et la plage de Barcelonita est bondée de fêtards jusqu’à 6 heures du matin.

Autre dossier : hausse des droits de scolarité en Catalogne. On parle de hausser la qualité des universités au niveau international. Je change de journal pour trouver du nouveau. Dans La Vanguardia on parle de réforme de la formation des maîtres. Ah non! Ne me parlez plus de réforme en éducation! Tiens? Ici aussi on fait la lutte aux graffitis et aux sacs en plastique, et on s’interroge sur la présence des soldats occidentaux an Afghanistan. Le Québec n’est pas si différent après tout.

J’ai mon compte. Je promets que je ne regarderai pas les journaux à Chicago, notre troisième étape. Zut. Il y a des présentoirs de journaux à l’hôtel. J’ai vu qu’on parlait de l’affaire DSK. Je détourne les yeux. Je respire un bon coup. Allons en ville. Ah! L’architecture de Chicago est unique au monde. On s’aventure dans le Grant Park pour avoir une meilleure vue. C’est le festival Taste of Chicago, une espèce fête gourmande qui dure 10 jours. Mais ce n’est pas une fête de la gastronomie à en juger par les menus Quoi? Un stand sert de la poutine? Hé! On n’est pas venus ici pour ça! Horreur, 90% des gens devant nous souffrent d’embonpoint ou sont carrément obèses. Je n’exagère pas! Et dire que les tendances américaines finissent par nous atteindre un jour!


La morale de cette histoire? La planète rapetisse, mais pas les gens! Non, sérieusement... Nous vivons une importante convergence à l’échelle de l’Occident. Et peut-être même plus, comme en font foi les mouvements du Printemps arabe. La mondialisation n’est pas qu’une question économique. Je me demande quel effet cela aura sur les identités nationales et culturelles. On en reparlera certainement.

Idées à partager

En un demi-siècle, il m'en est passé des idées par la tête. J'ai gardé la plupart pour moi, et c'est sans doute mieux ainsi. Mais j'aurais pu en partager certaines avec un cercle plus large que celui de mon entourage immédiat.

Je n'ai pourtant pas manqué de lieux d'expression. J'ai une carrière universitaire depuis 25 ans. Mais elle exige de moi une certaine neutralité, un équilibre. Je peux marquer une certaine préférence, mais je dois constamment montrer les deux côtés de la médaille. Au contraire, ma courte carrière politique m'imposait de ne pas m'écarter de la ligne de parti. Entre les deux, j'ai commis quelques essais et quelques textes d'opinions. Mais combien d'idées ont pris le chemin du tiroir.

Tout peut être sujet à interrogation et à réflexion. Je vous invite à partager ma quête d'une  meilleure compréhension de ce monde en plein bouleversement. J'ose prendre position, sans craindre d'exposer mes valeurs, en prenant le risque de faire des erreurs et de me remettre en question à l'occasion. La vie vaut la peine qu'on y cherche du sens. Et qu'on en trouve parfois.