samedi 3 novembre 2012

Des gagnants et des perdants

La victoire des étudiants partisans du gel des droits de scolarité au terme de ce qui est convenu d’appeler le « Printemps érable » n’est peut-être pas définitive : on ne sait pas ce qui ressortira du sommet sur l’éducation supérieure. Cependant, le résultat est clair : non seulement la hausse prévue cette année a-t-elle été annulée, mais ce que le gouvernement précédent proposait en échange d’une acceptation de l’augmentation des droits de scolarité, une bonification du régime d’aide financière et des modalités plus flexibles de remboursement des prêts, sera maintenu.

Ce résultat n’aura pas été obtenu sans peine : il est le fruit du sacrifice des étudiants grévistes, qui représentaient moins de la moitié des quelque 300 000 personnes inscrites dans nos institutions d’enseignement supérieures, alors que c’est la totalité des étudiants qui en profitera. Parmi les étudiants directement impliqués dans le mouvement, plusieurs ont laissé tomber leurs études, les ont retardées, ou bien ont dû de se contenter de cours de rattrapage accélérés ou donnés dans des conditions minimales.
Gabriel Nadeau-Dubois: héros, vilain, victime?
Sur le plan du leadership des étudiants (ou plutôt de leur « porte-parole »), c’est Gabriel Nadeau-Dubois qui écope. Bien que je ne sois pas un de ses « fans » — je l’appelais notre petit « Che » pendant le conflit –, il faut reconnaître qu’il a été et demeure le bouc émissaire choisi par Jean Charest. L’ex-premier ministre souhaitait que le conflit s’envenime afin de se présenter aux urnes comme le seul capable de résister à « la rue ». Il ne s’en même pas caché. En refusant de négocier sérieusement, il a favorisé la radicalisation du mouvement des étudiants : la FECQ de Léo Bureau-Blouin et la FEUQ de Martine Desjardins ont été débordées par l’ASSÉ qui, grâce à stratégie de la coalition large (la CLASSE), a mobilisé une grande partie des étudiants dans le but d’élargir l’enjeu à la gratuité scolaire, à la marchandisation de l’éducation et au combat contre le néo-libéralisme.

Tout était en place pour une crise de légitimité. D’un côté : des associations étudiantes qui, fortes du vote majoritaire des leurs membres, faisaient la grève. De l’autre : un gouvernement qui jouait la carte de la légalité, car bien qu’elles soient reconnues par l’État depuis 1983, les associations étudiantes ont tout d’un syndicat sauf le droit de grève. En refusant de négocier, Jean Charest voulait les pousser à l’illégalité.
Comme co-porte-parole de la CLASSE, Gabriel Nadeau-Dubois n’a pas été irréprochable : il n’a pas voulu dénoncer les actes de violence commis durant les manifestations pacifiques, et bien qu’il se disait incapable de prendre position contre la violence sans avoir un mandat de ses membres, il les a quand même appelés à poursuivre la grève à la mi-août. Aujourd’hui, il est devant les tribunaux parce qu’il a publiquement exprimé qu’était légitime pour des étudiants de prendre tous les moyens nécessaires pour faire respecter la grève, y compris – c’était sous-entendu – ne pas respecter les injonctions. Pour lui, cela n’équivalait pas inciter à l’anarchie, c’était défendre le droit à l’éducation. Je trouve l’explication un peu courte, mais là n'est pas la question.

En faisant cela, Gabriel Nadeau-Dubois jouait le rôle que lui avait assigné Jean Charest dans une pièce intitulée « La judiciarisation d’un conflit ». Celui d’un leader prêt à tout pour causer le chaos. C’est parce qu’il refusait de porter ce chapeau, de jouer le rôle du vilain, et aussi, semble-t-il, parce que du côté de l’ASSÉ, on ne le trouvait peut-être pas assez radical, qu’il a démissionné. Aujourd’hui, il paie chèrement son implication dans le mouvement étudiant.
Comme le dit Rima Elkouri dans La Presse de ce matin, le jugement rendu contre Gabriel Nadeau-Dubois est dur à prendre au moment où une kyrielle de bandits à cravate pigent impunément et sans remords dans le trésor public. Menacé d’amende et de prison, il est comme ces milliers d’étudiants qui ont sacrifié une session ou même leurs études : il va peut-être payer de sa personne pour avoir permis que se maintienne le rapport de forces qui lui a permis gagner leur cause.


Maintenant qu'il a perdu son pari,
que fera Jean Charest?
L’autre perdant, c’est Jean Charest. On dira qu’il l’avait bien cherché. Toutefois, les résultats de l’élection du 4 septembre dernier démontrent qu’il a failli gagner son pari en étant reconduit au pouvoir.

Il n’y a rien de simple lorsqu’un conflit s’enflamme et que les protagonistes essaient de le régler à la force du poignet plutôt que prendre le chemin du dialogue. Cela dit, on constate que ceux qui ont joué les cartes de la répression policière et judiciaire d’une part, et de la désobéissance civile d’autre part, ont été les perdants de la crise du printemps et de l’été 2012.

Maintenant que cette page est presque tournée (l’ASSÉ en appelle encore à la grève pour la gratuité scolaire), on se demande si la négociation reprendra ses droits lors du sommet sur l’éducation supérieure. Dans mon esprit, la politique a pour objectif la résolution pacifique des conflits.

lundi 3 septembre 2012

125 élections régionales

Depuis 220 ans, notre mode de scrutin fait en sorte qu’on calcule les votes au niveau des circonscriptions. C’est le parti qui arrive le premier dans le plus grand nombre d’entre elles qui forme ensuite le gouvernement. Peu de systèmes électoraux fonctionnent encore de cette manière, mais c’est néanmoins celui à partir duquel, mardi, les votes se transformeront en sièges à l’Assemblée nationale.

C’est donc dire qu’on a beau avoir les yeux rivés sur la campagne des chefs et sur les sondages, c’est au niveau des circonscriptions où tout va se jouer. Après avoir supputé le pour et le contre des programmes, des personnalités, des circonstances, vous penchez pour un parti? Est-il dans la course dans votre patelin? ? Est-ce qu’un parti est déjà certain de l’emporter? Ou, au contraire, est-ce que c’est une course à deux, ou à trois?

Hier, le Journal de Montréal a dévoilé un dernier sondage Léger qui, comme le CROP du Soleil et de la Presse, montraient une avance du PQ dans quasiment la moitié des circonscriptions, ce qui pourrait produire un gouvernement minoritaire ou majoritaire. Tout se jouera dans les circonscriptions où la marge est évaluée actuellement à moins de 5 %. (Pour savoir si c’est chaud chez vous, cliquez ici!) C’est donc dire qu’il y a des endroits où « chaque vote comptera », comme le veut l’adage. Mais beaucoup ne se rendront pas aux urnes. Pourquoi?

Pourquoi ne pas voter?

Il y a une foule de raisons à première vue valables pour ne pas se rendre aux urnes mardi. Mais aucune n’est suffisante pour invalider le processus démocratique.

Raison 1. « Le mode de scrutin déforme la volonté des électeurs. Le gouvernement ne représentera qu’une partie de l’électorat. » Vous avez raison. Aujourd’hui, l’électeur ne pense pas à sa circonscription lorsqu’il vote, car les campagnes sont nationales. Si on additionne leurs votes au niveau national, il y a d’importantes distorsions entre le pourcentage de vote reçu par chaque parti et le pourcentage de sièges obtenus par chacun. Réplique : il faut voter pour un parti ouvert au changement et faire pression sur les élus pour qu’un nouveau mode de scrutin soit mis en place. 

Raison 2. « Mon vote ne change rien. » Vous avez sans doute raison. Il est rare qu’un seul vote change quoi que soit, bien qu’un score égal entre deux candidats soit possible. C’est par dizaines que les votes changent le cours des choses. Il y a des circonscriptions qui vont se décider par 10, 40, 100 voix. Réplique : Si vous ne votez pas, d’autres feront sans doute comme vous. Vous aurez laissé à ceux qui iront voter un choix qui conditionnera votre avenir comme citoyen.

Raison 3. « Qu’est-ce que cela va me donner à moi? » En notre ère individualiste, égoïste et matérialiste, un acte collectif tel que le vote nous semble bien inutile. Réplique : Vous avez raison, on ne vote pas pour soi, mais pour le bien commun.

Aparté : Les élections, un geste collectif
C’est fou comme le matérialisme et l’individualisme actuels nous ont fait perdre le sens d’appartenance à une collectivité. Le pouvoir du peuple n’est pas un pouvoir individuel. Il ne peut s’exercer qu’en groupe. Même si cela ne nous plaît pas, on fait partie de quelque chose de plus grand que nous. Appelons cela la nation, le corps électoral, un courant d’opinion ou un parti, il y a des fois où on doit se détacher de sa petite personne et prendre part à un mouvement collectif. Pour la plupart d’entre nous, pauvres mortels, la politique est un sport d’équipe.
C’est la même chose dans d’autres domaines. Prenons l’environnement. On n’arrivera jamais à sauver la planète en voyant nos comportements dans une perspective individuelle. Je sais que de récupérer une bouteille vide ne va sauver la planète. Mais je le fais justement pour cela. Ça fonctionnera si moi et mon voisin le faisons. Si les petits font leur petite part, et si les gros font leur grosse part. Si je ne le faisais pas parce que je trouve cela insignifiant, tout le système flancherait, car les autres aussi se diront: « pourquoi je le ferais si lui ne le fait pas ». L’individualisme tue! C’est vrai pour l’environnement, c’est vrai pour la démocratie!

Raison 4. « Pas question de donner de la légitimité à un gouvernement qui ne respectera pas ses engagements et/ou sera corrompu. » Autrement dit, voter, ça fait l’affaire des politiciens qui se justifient ensuite en disant qu’ils ont été élus démocratiquement. Réplique : c’est notre seule façon de nous débarrasser des pommes pourries.

Pourquoi pas aller voter?

En 2008, à  la suite d’un an et demi de gouvernement minoritaire libéral, la confiance en nos institutions était au plus bas. Qu’est-ce que les Québécoises et les Québécois ont fait? Quarante-trois pour cent se sont abstenus de voter et les 57 % qui l’ont fait ont reconduit un gouvernement qui est devenu un des plus impopulaires de tous les temps.  
Question brutale:
Y aurait-il une guerre civile en Syrie si le pays était démocratique?

Mais au-delà des raisons défensives d’aller voter, il reste que cette bien imparfaite démocratie qui est la nôtre est objet de convoitise dans le monde entier. Nous avons l’occasion de lui redonner de la vigueur en participant aux élections. Rappelons-nous que le gouvernement, c’est nous, et que l’État est le seul instrument collectif au service du bien commun.

Bon vote!

vendredi 31 août 2012

Votons Marois en attendant le nouveau mode de scrutin

La débâcle n’est pas venue. Les intentions de vote pour le PQ se sont en grande partie maintenues malgré les bourdes de la semaine dernière. Mais le parti de Pauline Marois est clairement en « territoire minoritaire », ce qui augure des mois de partisanerie, de coups de gueule et de stratégie politique, avec peu d’action. Notre culture politique s’accommode mal de cette situation. Regardez la gouvernance du Québec de 2007 à 2008. Et celle du Canada de 2004 à 2001. Dans un système politique pensé et voulu pour être gouverné par un parti majoritaire, chaque parti se positionne pour gagner les élections qui suivent et obtenir ainsi de la population les pleins pouvoirs.

En situation minoritaire, on assiste à une succession de chicanes et de déclarations fracassantes pour épater la galerie jusqu’à ce qu’on fasse tomber le gouvernement ou qu’il démissionne. Dans ces circonstances, les partis ne pensent qu’en termes de stratégie. Vous me dites que c’est toujours comme cela? C’est en partie vrai. Sauf qu’en situation minoritaire, les projets de loi du gouvernement sont bloqués, et si l’opposition regroupe réussit à en faire adopter un, il n’est pas appliqué par le gouvernement. Bref, un gouvernement minoritaire, dans notre système parlementaire, c’est le marasme. Que faut-il faire alors?
On veut un gouvernement ou pas?
Dans le système actuel basé sur la confrontation,
un gouvernement minoritaire n'est pas efficace.
 
Notre mode de scrutin « pluralitaire » uninominal à un tour favorise la constitution de gouvernements majoritaires en donnant une « prime » aux grands partis et en défavorisant les petits partis. Quand un petit parti a le vent en poupe, on peut se retrouver avec trois partis à plus de 20 % et la possibilité d’un parlement minoritaire. Mais c’est nécessairement un état transitoire. Tôt ou tard, deux grands partis vont s’installer et s’échanger le pouvoir.

Le mode de scrutin actuel est une injustice pour les électeurs qui appuient de petits partis. Sauf dans les circonscriptions où se présentent leurs chefs, ils sont condamnés à « perdre leur vote », ou à voter pour le « moins pire » des deux grands partis. Faut-il changer notre mode de scrutin pour un système qui refléterait davantage le vote des électeurs à l’échelle nationale?

* * *

Il faut d’abord se rappeler que notre système compte les votes au niveau des circonscriptions et pas au niveau national. Le parti qui arrive le premier dans le plus grand nombre de circonscriptions formera le gouvernement. Jusqu’au milieu du XXe siècle, les élections (au pluriel) étaient des événements locaux. Chaque région élisait son représentant au parlement. Mais cela a beaucoup changé.

De nos jours, quand l’électeur met sa croix à côté du nom d’un candidat, il pense à son parti et à son chef. Son geste n’est pas local, mais bien national. La notoriété des candidats ne pèse plus que pour 5 % environ. Bref, il faudrait compter les votes au niveau global. En 2008, le parti de Jean Charest a obtenu 52,8 % des sièges avec 42,08 % des votes, le parti de Pauline Marois, 40,8 % des sièges avec 35,17 % des votes, le parti de Mario Dumont, 5,6 % avec 16,37 % et celui de Françoise David et Amir Khadir, 0,8 % des sièges avec 3,78 % des voix.

Lorsqu’on calcule les votes au niveau national plutôt qu’au niveau local, il est clair que les grands partis sont sous-représentés et les petits, sous représentés. Pas étonnant que plusieurs électeurs décident de ne plus aller voter. La solution démocratique serait donc un système proportionnel. Toutefois, si on éliminait complètement les circonscriptions, votre région ou votre quartier n’aurait plus de représentant au parlement. Il faut donc conserver des députés élus localement. En même temps, des députés pourraient être ajoutés pour compenser la distorsion du système actuel. C’est ce qu’on appelle le mode de scrutin proportionnel mixte.

Même si on s’en rappelle peu aujourd’hui, les deux grands partis ont flirté avec l’idée au début des années 2000, mais le projet a été enterré par le gouvernement actuel, trop content d’avoir retrouvé sa majorité.

J’ai longtemps pensé que l’avènement d’un mode de scrutin plus proportionnel serait nuisible à la gouvernance, car il renforcerait les petits partis, qui seraient plus nombreux et plus forts, et donnerait presque systématiquement des « parlements à l’italienne », c'est-à-dire ingouvernables, avec des élections à répétition. Cela est plausible durant quelques années, car les partis continueraient pratiquer une politique de confrontation. Mais constatant que cela est vain, ils finiraient bien par changer de culture politique et à collaborer, soit par des alliances parlementaires, soit par des coalitions gouvernementales. C’est une véritable révolution démocratique qui s’opérerait.
* * *

Une réforme du mode de scrutin renforcerair les institution
en faisant en sorte que tous les votes comptent vraiment.
De plus, les partis en chambre seraient obligés d'agir
de manière moins partisante et plus constructiove.

Mais comment fait-on pour vaincre la résistance des grands partis? Voici ma solution. Élisons un gouvernement péquiste majoritaire. Celui-ci adoptera une loi sur le Référendum d’initiative populaire (RIP). Cette mesure a d’abord été pensée pour déclencher un référendum sur la souveraineté, mais pourrait servir à tout projet d’envergure pour lequel un appel au peuple est nécessaire, dont la réforme du mode de scrutin!

Vous répondez : « Regarde le vieux péquiste qui veut nous avoir! » Vous n’avez pas complètement tort. Je constate que depuis 2003, la coalition péquiste menace d’éclater. À force de ne plus parler d’indépendance (on parle plus souvent de référendum, ce qui est le moyen, pas la fin), le ciment de ce parti s’effrite. Des partisans de gauche vont à Québec solidaire, de droite à la CAQ, les plus indépendantistes à Option nationale. Avec notre mode de scrutin, cela est fatal pour un grand parti : à terme, cela ouvre la porte à sa disparition éventuelle en tant que grand parti.

Appuyer un petit parti de gauche ou indépendantiste nous fait courir les risques suivants : ou bien le PQ perd aux mains d’un des deux partis de droite, ou bien il doit gouverner avec l’appui de la CAQ. Ce ne sera pas Québec solidaire et ses deux députés qui pourront faire survivre le gouvernement Marois.

Mon vote à moi n’est pas stratégique. J’appuie le programme social-démocrate du PQ. Mais je fais un marché avec vous. Aidez-moi à élire un gouvernement péquiste majoritaire et j’appuierai de toutes mes forces une réforme du mode de scrutin.

C’est sûr que l’élection d’un gouvernement majoritaire avec 35 % ou 36 % va soulever des tonnes de questions et qu’on sera en bonne position de faire passer un RIP sur une réforme. Et une fois que le système électoral sera plus proportionnel, vous aurez le loisir de me convaincre de changer de parti. Deal?

jeudi 23 août 2012

La boîte à surprises

La mi-campagne est déjà passée et l'issue des élections générales du 4 septembre 2012 est de plus en plus incertaine. Deux gagnants jusqu'à maintenant: à droite, François Legault de la CAQ, qui réussit à s'imposer comme la voie du changement, et à gauche, Françoise David de Québec solidaire qui s'est fait connaître des électeurs lors du débat à quatre, dimanche dernier.



Ces deux protagonistes font des ravages dans l'électorat des grands partis. Jean Charest du Parti libéral pensait bien qu'il pourrait compter sur l'inquiétude qu'a soulevée la crise étudiante auprès d'une bonne partie de la population. Une idée "grotesque" avait-il dit. L'avenir lui a donné raison. Il n'en a pas été question durant la campagne, pour la bonne raison que les étudiants ne sont pas tombés dans le panneau. De toute façon, n'est-ce pas sous la gouverne que des milliers de personnes ont marché dans les rues? Imaginez s'il était réélu! Et puis il y a l'usure du pouvoir... et le parfum de corruption. Même les anglophones désertent les libéraux pour la CAQ!

Pauline Marois et le Parti Québécois avaient bien commencé: en se promenant dans "la rue", cette rue qui est si hostile à Jean Charest, la chef de l'Opposition lui a rendu la monnaie de sa pièce. C'est après que ça s'est gâté. Que l'on soit pour ou contre ses idées sur la laïcité, la controverse autour de Djemila Benhabib, qui a subi les foudres du maire de Saguenay, va repousser une partie de l'électorat nationaliste de droite vers la CAQ. Les tergiversations de Mme Marois sur la question de l'identité et du référendum d'initiative populaire ont relancé l'idée qu'elle n'était pas très claire. MM Charest et Legault en ont profité pour brandir de nouveau le "spectre référendaire". Mme David, dont le processus d'accession est encore plus lourd, n'a pourtant pas été attaquée: les deux autres chefs sont tellement contents qu'elle gruge le vote du PQ!

Ainsi, bien que je sois à plusieurs milliers de kilomètres du Québec, j'ai suffisamment suivi la campagne pour prédire que les prochains sondages montreront le PQ aura perdu des points depuis deux semaines et que les trois autres partis en auront gagné, à moins que le PLQ ne s'effondre. On verra dans les prochains jours si j'ai raison. Si la tendance se maintient, le prochain gouvernement sera minoritaire et devra gouverner avec l'appui de la CAQ.

Mais tous les scénarios sont possibles, car avec notre mode de scrutin, tout peut arriver. Le nombre de sièges n'est pas proportionnel au nombre de votes à l'échelle nationale. Pour gagner une circonscription, il suffit d'arriver premier. Avec des courses à trois... c'est encore plus compliqué à prédire. Ainsi, il ne faudrait pas exclure une vague caquiste... On a déjà vu cela, changer pour changer...

Des mois et des années de plaisir en vue!

mercredi 1 août 2012

OK, tout le monde, on prend du Ritalin

Au lendemain de la première élection du Parti Québécois, en novembre 1976, le caricaturiste Aislin de la Gazette publiait une caricature dans laquelle le premier ministre élu, René Lévesque, conseillait aux anglophones angoissés de se calmer, « Ok, everybody, take a valium ». En ce jour de déclenchement des 40es élections générales au Québec depuis le début du régime canadien en 1867, c’est toute la population du Québec qui souffre d’un déficit d’attention. Hier soir, la télévision de Radio-Canada a fait un « vox pop » pour demander à des électeurs dans la rue ce qu’ils pensaient du déclenchement imminent des élections. Une dame a répondu : « On va être obligés de penser à ça! Non, ce n’est pas bon. » Je lui réponds : prenez du Ritalin et essayez de vous concentrer.

Source: Musée McCord de Montréal


Mêlez-vous de vos affaires!

Le « ça » dont parlait cette citoyenne, qui a autant le droit de voter que vous et moi, c’est la politique, c’est-à-dire les affaires de la nation. À moins de croire, comme les libertariens, que le salut est dans un individualisme absolu, nous avons besoin d’un gouvernement pour arbitrer entre les intérêts particuliers, pour éviter que certains se laissent aller à leurs mauvais penchants, pour protéger le faible contre le fort, pour veiller à l’intérêt national et au bien commun. L’être humain est un animal social.

Et si le citoyen ne s’intéresse pas aux affaires de l’État, quelqu’un va s’en occuper pour lui. Le gouvernement ne s’occupera que du bien de quelques-uns et non du bien commun. Ai-je besoin de vous faire un dessin? La classe politique ne sera bientôt faite que d’une bande d’arrivistes voulant dilapider le trésor public au profit de leur petits-z’amis. Et ce sera de notre faute. Une population éduquée, attentive et participante est garante d’une saine démocratie. Pour ceux et celles qui aiment encore tenir un livre dans leurs mains, je conseille La démocratie, c’est l’affaire de tous, de l’ex-député Yvan Bordeleau

Montréal, Éditions Liber, 2012, 296 p.


Ailleurs, on meurt pour des élections

Vous pensez peut-être que je ressors ici un vieil argument moral : « Voter est un devoir. Des milliers de gens sont morts pour le droit de vote ». Quoi que vous en pensiez, cela est un fait indiscutable encore aujourd’hui. Il faut avoir la mémoire très courte pour ne pas se rappeler du « Printemps arabe » : des milliers de morts et des milliards de dollars de dommages pour se débarrasser de gouvernements corrompus ou sanguinaires en Tunisie, en Égypte, en Libye et au Yémen. Seul le Bahreïn a résisté à la vague révolutionnaire, et ça continue en Syrie.

Là où ces mouvements ont réussi, la démocratie est fragile. En effet, rien n’est gagné dans la plupart de ces pays. Et cela ne se limite pas au Moyen-Orient : depuis la chute du Mur de Berlin, la Russie a gagné la démocratie pour la perdre de nouveau. Nous-mêmes la tenons pour acquise, mais elle peut rapidement nous échapper. Je ne vous ai pas encore parlé de la loi 12 (projet de loi 78) du printemps dernier, car cela fera justement partie du débat électoral.
Le premier débat de l'assemblée législative du Bas-Canada, en 1792,
portait sur l'élection du président.

Ici, depuis 1792, soit 220 ans, nous sommes appelés à demander des comptes à nos dirigeants tous les cinq ans tout au plus, et à les remplacer au besoin. La démocratie québécoise est plus vieille que le Canada lui-même. Rappelons-nous les paroles de Churchill, en 1947, à la Chambre des communes de Londres : « La démocratie est le pire système de gouvernement, à l'exception de tous les autres qui ont pu être expérimentés dans l'histoire. » A-t-on le droit de parler d’une campagne électorale comme d’une nuisance? Je suis convaincu que nous devons notre prospérité et notre sécurité à cette capacité que nous avons de régler pacifiquement les conflits, notamment par la voie électorale.

Pourquoi des élections maintenant?

Dès les premières rumeurs, certains se sont plaints du déclenchement d’élections durant l’été. Or, les élections estivales ont été la norme plutôt que l’exception durant le XXe siècle. Elles sont préférables à des élections hivernales, soumises aux caprices de dame nature. Et à tout prendre, c’est la période idéale : Jeux olympiques mis à part, elles ont toute notre attention. Et le nouveau parlement pourra se réunir comme prévu en octobre.

Ainsi, le gouvernement n’essaie pas de nous en passer « une vite ». Nous serons inondés d’information. M. Charest a agi maintenant pour deux raisons : la reprise le lundi 17 septembre des audiences de la Commission Charbonneau « sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction », pourrait mettre le Parti libéral dans l’embarras et, disons-le, le Parti Québécois dans une moindre mesure. Mais surtout, le premier ministre entend profiter des perturbations qui ne manqueront pas d’accompagner la reprise de la session d’hiver dans les cégeps et les universités à partir du 13 août. En fait, la CLASSE est la bouée de secours de M. Charest. Je vous renvoie à mes billets en vous disant « je vous l’avais bien dit ». Je suis flagorneur, mais cela ne m’empêche pas de trouver cela pitoyable.

* * *

La campagne électorale sera brève. Seulement 32 jours. Même si j’en passerai très exactement la moitié au Mexique, je ne pourrai me retenir de la commenter dans ce blogue. De toute façon, les campagnes se font maintenant dans les médias, dans Internet et dans les réseaux sociaux. Au programme : les limites de la démocratie de représentation, le façonnement de l’opinion publique, le rôle des médias sociaux, les motivations des politiciens, les enjeux de cette élection et bien autres choses.

Entretemps, si vous êtes de ceux et celles qui suivent l’actualité, je vous conseille de passer le test de la boussole électorale de Radio-Canada. Vous pourriez avoir des surprises : en mai 2011, j’étais classé comme un libéral fédéral! À suivre...


jeudi 26 juillet 2012

La dette du Québec envers de Gaulle

L’annonce d’une entente stratégique entre Option nationale et Québec solidaire devant l’hôtel de ville de Montréal, 45 ans après le « Vive le Québec libre » de Charles de Gaulle, a laissé perplexes un certain nombre de mes amis d’origine française. Pourquoi les leaders de gauche font-ils encore des révérences devant ce vieux bouc de droite? Que vient-il faire dans le débat politique contemporain au Québec? Et à tout prendre, la question nationale n’est-elle pas dépassée, sinon réglée depuis le référendum de 1995? Il n’en fallait pas plus que je reprenne la plume pour donner quelques explications et pour essayer de démontrer comment l’histoire peut éclairer les événements.

Jean-Martin Aussant et Françoise David annoncent


un « pacte de non-agression » entre Option nationale
et Québec solidaire, devant l'hôtel de ville de Montréal

« Le nationalisme, c’est la guerre », disait François Mitterrand. Cela était vrai dans le contexte de l’Europe d’après-guerre, où des nations fortes et reconnues s’étaient entredéchirées une autre fois. Mais ce n’est pas le cas partout et en tout temps.


Le Québec est une société fragile qui continue d’exister malgré des circonstances adverses : le poids des empires français et anglais, un régime fédéral où il est minoritaire, le poids de l’argent, celui de la démographie, les vents de la mondialisation. S’ils étaient dans la même situation que nous, les Français ne traiteraient pas avec autant de désinvolture le danger qui nous guette. Le Québec, c’est huit millions d’habitants entourés de plus de 300 millions de Canadiens anglais et d’Américains. Imaginez la France, et ses 65 millions d’habitants, entourée non pas d’une trentaine de nations aux tailles et aux cultures diverses, mais de deux nations composées de  trois milliards d’Anglo-saxons

Pour notre petite nation, la seule des Amériques à part Porto Rico, à ne pas avoir d'ambassadeur aux Nations Unies, il s’agit d’être ou de disparaître. Alors, comment peut-on faire un débat « social » alors que le cadre national n’est pas défini?

Plusieurs Français qui ont étudié de l’extérieur le Québec et son histoire l’ont bien compris. Le 26 novembre 1831, Alexis de Tocqueville observait ce qui suit, lors d’un voyage au Bas-Canada : « Je viens de voir dans le Canada un million de Français braves, intelligents, faits pour former un jour une grande nation française en Amérique, qui vivent en quelque sorte en étrangers dans leur pays[1]. » Heureusement, tous ne se sont pas laissé aller à la tentation de l’assimilation, gage d’un meilleur statut social et économique. Comme l’écrivait André Siegfried en 1905, « L’Angleterre a conquis la Nouvelle-France, mais elle n’a pu détruire ou assimiler les colons que nous y avions laissés. (…) Ils sont devenus aujourd’hui tout un peuple de 1 640 000 âmes. (…) Son vrai domaine, sa forteresse imprenable est la province de Québec, où les Français sont 1 322 000 sur 1 648 000 habitants[2]. » Le reste « fait partie de l’histoire », comme on dit. Le Québec existe, mais sa pérennité en tant que nation distincte – tant par son identité fondée sur l’usage de la langue française, que par ses institutions et ses politiques originales, n’est toujours pas assurée, malgré la fausse sécurité que lui procure la Charte de la langue française.

Paradoxalement, c’est cette fragilité, cette précarité de la nation québécoise qui lui donne sa créativité, sa capacité de se réinventer sans cesse. On peut trouver que les Québécois ont une agaçante la mentalité d’assiégés, celle-ci nourrit leur imaginaire. C’est précisément au moment où elle se libérait d’un cléricalisme et d’un conservatisme devenus trop lourds, qu’ils faisaient une « Révolution tranquille » que Charles de Gaulle est intervenu. Et contrairement aux observateurs français précédents, il était en mesure d’agir sur les événements. Certes, on dira qu’il voulait embêter ses rivaux anglo-saxons, Britanniques et Américains, mais il avait également conscience de payer « la dette de Louis XVI » : l’abandon de ces « quelques arpents de neige » que Voltaire avait dédaigneusement conseillé de laisser aux Anglais.

Quelques exemples

À peine rentré de son deuxième voyage au Québec, en avril 1960 – il était déjà venu en juillet 1944 –, il avait la certitude que l’histoire y était sur le point de basculer et qu’il devait lui donner un coup de pouce. À son retour de voyage, il aurait dit à son ministre Malraux : « Il y a, me semble-t-il, un énorme potentiel français au Québec. Veuillez vous en occuper. » Puis, la veille de la visite du ministre québécois Georges-Émile Lapalme venu proposer l’ouverture d’une délégation du Québec : « Malraux, il faut s’occuper du Québec[3]. »
De Gaulle à Québec en avril 1960,
avec le premier ministre Antonio Barrette

Le 7 mai 1963 à Alain Peyrefitte : « Le Canada français est en pleine évolution et en plein développement. Un jour ou l’autre, il se séparera du Canada anglais, parce que ce n’est pas dans la nature des choses que les Français du Canada vivent éternellement sous la domination des Anglais[4]. » Bien sûr, les Canadiens français, en train de se redéfinir comme des Québécois, ne partageaient pas sa vision un peu néocolonialiste qui consistait à les voir comme une extension de la France. Le Québec s’en était détaché depuis deux cents ans. Mais la reconnaissance extérieure, et plus encore, celle du chef de l’État français, de leur volonté d’affranchissement, sera la bienvenue.  

Quelques mois avant son départ pour le Québec, où il devait inaugurer la « journée de la France » à l’exposition universelle de 1967 à Montréal, son intention était bien arrêtée, soit déstabiliser la fédération canadienne : « Il n’est pas question que j’adresse un message au Canada pour célébrer son “centenaire”. Nous pouvons avoir de bonnes relations avec l’ensemble du Canada. Nous devons en avoir d’excellentes avec le Canada français. Mais nous n’avons pas à féliciter ni les Canadiens ni nous-mêmes de la création d’un “État” fondé sur notre défaite d’autrefois et surtout sur l’intégration d’une partie du peuple français dans un ensemble britannique. Au demeurant, cet ensemble est devenu bien précaire[5]. »

Le « Vive le Québec libre! » du 24 juillet 1967 a donné une impulsion sans précédent au nationalisme québécois. Un nationalisme en pleine transformation, désormais orienté vers l’épanouissement individuel et collectif d’une nation non plus canadienne-française et catholique, mais québécoise et inclusive, c’est-à-dire appartenant à tous ceux et celles qui veulent contribuer à la bâtir. « On ne fait avancer l’histoire qu’à coups de boutoir[6] », dira-t-il quelques jours plus tard, en allusion à son coup d’éclat.

De Gaulle s'adressant aux Québécois du haut du balcon de
l'hôtel de ville de Montréal, le 24 juillet 1967
Ce coup de main au destin, les Québécois n’eurent pas le courage de le mener à sa conclusion logique. Avec comme résultat qu’au moment où la question sociale refait surface, la question nationale n’est toujours pas réglée.

Le national avant le social

Le Québec est donc une société fragile et précaire, qui s’est battue non seulement pour survivre, mais aussi pour se doter d’un État capable d’avancer des projets de société originaux en Amérique du Nord. Autrement dit, les nationalistes québécois, dont la majorité est de gauche, mais dont plusieurs sont de droite, ne cherchent pas à déclarer la guerre à leurs voisins – même Mitterrand a reconnu cela. Ils partagent le projet d’une société. Une société solidaire, diront les uns, une société individualiste, diront les autres. Mais la souveraineté n’est ni à gauche, ni à droite, mais en avant, comme se plaisait à le dire Bernard Landry.

Si l’histoire contemporaine nous enseigne que plusieurs nationalismes européens ont glissé à droite, et que dans leur contexte particulier, la plupart sont devenus ethnocentristes, cela n’est pas une fatalité. En fait, beaucoup d’eurosceptiques se battent pour redonner aux peuples la maîtrise de leurs États nationaux dans le but de combattre le nivellement par le bas des protections sociales face à la mondialisation. C’est aussi le cas au Québec où, dans la foulée de la Révolution tranquille et dans le contexte de la montée du néolibéralisme, on veut redonner à l’État sa capacité d’agir pour le bien commun.  

Cela dit, la gauche n’a pas le monopole de la vertu. Elle propose un projet de société. La droite également. Chacune a une définition légitime du bien commun et a droit de cité. Elles s’affrontent dans un débat ouvert et en démocratie, c’est le peuple qui a raison (cela aussi, c'est de Bernard Landry). Pour la majorité des Québécois, de Gaulle n’est ni de gauche, ni de droite. Il est une figure bienveillante qui a cru, plus que bien des Québécois, à l’avenir de cette nation. L’objectif des indépendantistes est de créer un espace national entier (c'est-à-dire de rapatrier les pouvoirs étatiques qui sont contrôlés à Ottawa), non pas dans le but de créer une société parfaite fondée sur un humanisme désincarné ou sur des théories économiques, en visant l'élimination de leur adversaire de gauche ou de droite, mais un « pays normal », maître de son destin.

On n’invente pas une société, une société se réinvente à partir de ce qu’elle est, qui est le produit de son histoire. L’humanité n’est pas une page vierge. Seuls les totalitaires veulent faire table rase du passé pour créer une société idéale. Comme les talibans qui ont détruit les statues bouddhistes et les islamistes qui démolissent les mausolées de Tombouctou.

Pour comprendre une nation, on ne peut faire abstraction de son histoire, cet héritage des hommes et des femmes qui en ont fait partie. Chaque nation a trouvé une façon originale d’évoluer, d’élargir les droits des travailleurs, des femmes, des minorités. Pour exercer pleinement sa citoyenneté et contribuer au progrès du pays où l’on vit, qu’on y soit arrivé à sa naissance ou après, il faut apprendre son histoire. Sans cela, l’importance de de Gaulle dans le débat contemporain devient inintelligible.

Je laisse aux Français et à leurs historiens le soin d’interpréter le rôle que ce grand homme a joué dans l’histoire de ce grand pays. Une chose est certaine, les Québécois doivent à de Gaulle d’avoir crié à face du monde que le Québec a le droit d’exister en pays libre, maître de ses politiques, désenglué du carcan fédéral et présent en son nom propre dans les forums internationaux. Sans cela, nous aurons beau élire un gouvernement « provincial », celui-ci sera toujours aux prises avec des contraintes insurmontables, et ni la gauche ni la droite ne pourra aspirer à une politique cohérente.



[1] Alexis de Tocqueville, Regards sur le Canada, Montréal, Typo, 2003, p. 44. Textes présentés par Claude Corbo.
[2] André Siegfried, Le Canada. Les deux races, Paris, Librairie Armand Colin, 1905, p. 1-2. J’ai acheté un exemplaire autographié de ce livre sur les quais de la Seine en juin dernier. Un bijou.
[3] L’entretien est raconté dans Georges-Émile Lapalme, Mémoires, t. 3 Le paradis du pouvoir, Montréal, Leméac, 1973, p. 42-49
[4] Cité par Alain Peyrefitte, De Gaulle et le Québec, Montréal, Stanké, 2000, p. 18.
[5] Cité par Renée Lescop, Le pari du général de Gaulle, Montréal, Boréal express, 1981, p. 148.
[6] Cité par Alain Peyrefitte, op.cit., p. 67.

dimanche 10 juin 2012

Lutte étudiante, « crise sociale » et polarisation des opinions

Jeudi dernier, j’étais à la remise des prix Richard-Arès et André-Laurendeau de l’Action nationale. D’excellents livres et articles ont été primés encore cette année. Au-delà de ce dénouement prévisible, les conversations que j’ai eues lors du cocktail quelques connaissances anciennes et nouvelles allaient d’un sujet à l’autre, y compris le sujet de l’heure, « la crise sociale ».

Car on ne parle plus seulement de la lutte étudiante contre l’augmentation des droits de scolarité. Le Québec serait au bord de la révolution. Vrai : Le mouvement social actuel a permis que des milliers de Québécois fassent entendre leur voix, eux qui étaient peu ou pas politisés. Bravo! Mais on est loin de mai 68. Comme l’écrivait mon collègue chargé de cours Stéphane Kelly, également professeur au Cégep de Saint-Jérôme, « Le profil d’un étudiant en mai 1968 et celui d’un étudiant d’aujourd’hui n’est pas du tout le même. L’avenir qu’on lui propose, le destin probable, s’avère complètement différent. Aujourd’hui, ce qui est en jeu, c’est la préservation d’un acquis jugé raisonnable[1]. »

En effet, la lutte étudiante portait sur l’augmentation des droits de scolarité dans une proportion que la plupart des Québécois jugeaient raisonnable. Bien sûr, le rattrapage proposé constituait une somme de 75 % en cinq ans, mais cela ne faisait passer la contribution de l’étudiant au coût ses propres études que de 12 % à 17 %. Il y avait donc du pour et du contre. C’était une décision de politique publique comme les autres. Le gouvernement avait à trancher. 

Les étudiants se sont bien mobilisés, comme en 2005, lorsqu’ils ont lutté contre des coupures dans les prêts et bourses. À cette époque, ils avaient l’opinion publique de leur côté. Cette fois-là, le gouvernement avait cédé. Pas cette fois-ci. Un concours de circonstances a fait que le conflit s’est envenimé et qu’au lieu de se rapprocher, les parties ont campé sur leurs positions.

Au départ, l’opinion publique était favorable à la hausse, donc potentiellement du côté du gouvernement. Ce dernier, désespéré parce qu’il bat tous les records d’impopularité, a cherché et cherche encore à marquer des points politiques. Il a tardé à céder du terrain, et quand il l’a fait, en avril, il était trop tard : les étudiants étaient « ailleurs » comme on dit. Les offres n’annulaient pas la hausse, mais répondaient aux motivations de la grève étudiante : assurer l’accessibilité et contrer les conséquences de l’endettement.

À ce moment, même si la hausse demeurait, les étudiants avaient gagné. Mais ils avaient déjà deux mois de grève derrière eux. Allaient-ils rentrer pour seulement cela? La poursuite de la mobilisation a surpris le gouvernement qui s’est alors retiré dans une attitude inflexible, et même répressive. Il lui fallait gagner coûte que coûte. Il a reporté à l’automne les élections qu’il prévoyait faire au printemps (j’en suis sûr) et a adopté l’inutile loi 78.

C’est alors que tout ce qui progressiste au Québec s’est braqué contre le gouvernement Charest. On avait déjà vu des groupes s’associer à la cause étudiante : les syndicats, les altermondialistes, les écologistes, les anticapitalistes, les féministes. Au passage, le conflit étudiant avait fédéré tous les admirateurs québécois des Indignados et du Printemps arabe en plus des adversaires habituels du gouvernement actuel. Mais au lendemain de l’adoption de la loi 78, et pour plus d’une semaine, les manifestations sont devenues populaires. Le mouvement des casseroles a fait en sort qu’un grand nombre de citoyennes et de citoyennes ont exprimé leur ras-le-bol devant l’attitude du gouvernement. Ce que les libéraux avaient gagné dans l’opinion publique en continuant de défendre la hausse, il le perdait en faisant preuve d’obstination. Il devait donc reculer.

Les négociations entreprises la semaine dernière auraient dû permettre un dénouement de la crise étudiante, à la veille des grands événements culturels et touristiques (je n’ose pas dire sportifs… car la F1, enfin…). L’image du Québec en avait déjà pris en coup dans les médias internationaux. Mais non! Bien que les étudiantes aient mis beaucoup d’eau dans leur vin, la ministre Courchesne mit fin aux discussions après quelques jours! Pourtant, les étudiants avaient proposé de payer de leur poche le règlement du conflit : ils renonçaient à deux crédits d’impôts en retour de l’annulation de la baisse. C’était politiquement invendable, aurait dit la ministre. Même s’il aurait dû renoncer à la hausse, le gouvernement aurait quand même gagné parce que la contribution des étudiants au coût de leurs études aurait indirectement augmenté dans la même proportion.

N’eût été cet entêtement, de part et d’autre, à avoir raison, le conflit serait réglé depuis longtemps. Tant les étudiants que le gouvernement ont pris la proie pour l’ombre. Pour les étudiants le but était l’accessibilité et le désendettement. Le gouvernement les leur avait donnés. Ce dernier voulait une plus grande contribution des étudiants. Ces derniers la leur ont consentie.

Ce jeu de ping-pong entre les extrêmes qui ne veulent rien lâcher et gagner à tout prix a conduit à de grandes exagérations. Dans cette bataille pour modeler l’opinion publique, il faut absolument rendre l’autre responsable des conséquences du conflit. Pour discréditer l’adversaire, d’une part, on a démonisé certains leaders étudiants (vous ne trouvez pas que Gabriel Nadeau-Dubois ressemble au « Che »?) et d’autre part, on dénonce la brutalité des policiers qui taperaient sur les manifestants sans avoir été provoqués. À travers tout cela, Amir Khadir se prend pour Martin Luther King et Gandhi (les deux), Fred Pellerin renonce à recevoir sa décoration de l’Ordre du Québec, qui est pourtant un symbole non partisan, et Christine Saint-Pierre, ministre de la Culture associe le carré rouge à la violence et à l'intimidation.

Le mouvement de protestation populaire actuel est libérateur, mais paradoxal : la liberté d'opinion en prend pour son rhume. Slogans et insultes volent de toutes parts. Certains sont pointés du doigt pour délit d'opinion (je pense à Gilbert Rozon, à Richard Martineau et à Jacques Villeneuve - il faut dire que les deux derniers y sont allés un peu fort). D’autres ont été déclarés coupables par association. Pierre Foglia a dû répondre à ceux et celles qui lui ont reproché d'écrire dans La Presse, que ses chroniqueurs ne subissent aucune pression de Power Corporation. J’ai aussi vu l’inverse : des abonnés au Devoir qui ont cessé de le lire parce qu’il prenait position pour les étudiants et leurs alliés.

Le climat actuel a polarisé les opinions avec une force qu’on n’avait pas vue depuis le référendum de 1995. Au hasard de mes rencontres des dernières semaines, j'ai vu des gens bornés à chaque bout du spectre. Comme ce baby-boomer de Sherbrooke, qui trouvait les étudiants ridicules jusqu’à ce que je lui fasse parler de ses belles années de lutte des années 1960 et 1970.

Jeudi, lors du cocktail après la remise des Prix Arès et Laurendeau, j’ai eu le malheur de commencer une conversation en disant que la hausse des droits de scolarité n’était pas un drame. Je n’avais pas terminé ma phrase que mon interlocutrice avait déjà tourné les talons. Je l’ai rattrapée pour lui demander des excuses, et à ma deuxième requête, elle m’accusait de harcèlement. Cette crise sociale a induit une polarisation telle, qu’il y a de moins en moins de place pour les opinions nuancées.

Certains ont décrit la situation actuelle en la comparant à « Grande Noirceur ». Dans un texte paru cette semaine, un étudiant au doctorat en histoire de l’Université Laval rappelle qu’on a le mythe facile au Québec. Quand on fait cette comparaison, on commet une double exagération : le système politique n’est pas aussi bloqué qu’à l’époque de Duplessis et les années d’après-guerre n’étaient pas si noires qu’on le dit. Néanmoins, la crise sociale québécoise existe bel et bien et elle est le symptôme d’un certain nombre des malaises que le système politique n’arrive pas à résoudre. En ce sens, on peut se poser la question suivante : Sommes-nous à l’aube d’une nouvelle Révolution tranquille ? J’y reviendrai.



[1] Cité par Stéphane Baillargeon, « Crise étudiante - Mai 68, en gros », Le Devoir, le 9 juin 2012.

jeudi 24 mai 2012

Le pari perdu de Jean Charest

La poursuite et même l’intensification de la mobilisation contre la hausse des droits de scolarité vont bientôt faire plier le gouvernement. Jean Charest, qui comptait sur l’appui initial de l’opinion publique pour remporter une victoire sur les associations étudiantes en grève, pour ensuite se lancer en élection, commence à faire l’unanimité contre lui. Il devra reculer. Même La Presse le lui demande. Sa dernière carte, la loi 78, n’était pas la bonne.

Après avoir plié devant le peuple sur la centrale du Suroît, la privatisation d’une partie du parc du Mont Orford et la commission sur la collusion et la corruption dans le domaine de la construction, il devra encore une fois retraiter, car le mouvement étudiant ne désarme pas. Tout au plus aura-t-il réussi à retarder le dénouement du conflit et à détourner l’attention des scandales de corruption et de sa politique minière contestée durant quelques mois.
Jamais à court de bonnes idées, les manifestants ont
utilisé la technique du tintamarre. (Photo: La Presse)
Lorsque la grève a commencé, les étudiants ont demandé à leurs enseignants et chargés de cours de les appuyer en refusant de se présenter en classe. Ils voulaient éviter d’avoir à faire du piquetage devant chaque salle de classe. Je leur ai répondu que je ne pouvais pas faire la grève à leur place. En bon citoyen obéissant aux lois (et soucieux de toucher son salaire…), je me suis présenté à chacun des cours comme le veut le Code du travail, ma convention collective et mon contrat d’enseignement.

Je leur ai dit que pour réussir, ils devaient faire deux choses : mobiliser leurs collègues (si seulement cinq ou six étudiants étaient en classe, je ne pouvais donner mes cours) et obtenir l’appui de l’opinion publique (nous sommes en démocratie après tout). C’est comme cela qu’ils l’avaient emporté en 2005.

Après une longue période d’incertitude, le mouvement étudiant peut maintenant compter sur ces deux atouts. Une mobilisation qui s’étend, comme en font foi la manifestation du 22 mai et le grand tintamarre du lendemain, et un appui tardif de l’opinion publique à une solution négociée, tout cela grâce à la décision du gouvernement du Québec d’adopter une loi spéciale. Au lieu de se contenter de reporter les sessions pour calmer le jeu, Jean Charest a adopté une série de mesures répressives qui ont jeté de l’huile sur le feu. Du coup, il a relancé la contestation, fédéré toutes les causes sociales autour des étudiants et braqué une partie de l’opinion publique contre lui.

Il est depuis longtemps acquis que ce conflit serait une lutte sans merci entre les étudiants et le gouvernement. Aucune partie ne voulait jouer le jeu normal du compromis, celui qui fait que normalement, dans les sociétés libérales avancées, on essaie de faire coïncider les intérêts opposés. Les forces sont demeurées égales pendant longtemps. Les étudiants avaient réussi leur mobilisation. Jean Charest croyait à tort qu’elle s’essoufflerait. Le premier ministre profitait d’une opinion favorable aux hausses. Aujourd’hui, une grande partie de population désapprouve ses actes.

Des alliés traditionnels du gouvernement ont ouvertement critiqué la loi spéciale. Bâtonnier du Québec, Conseil du Patronat et maintenant La Presse. Bien qu’en faveur de la hausse et pour l’accessibilité grâce à l’aide financière bonifiée, j’ai signé dès samedi la pétition des historiens contre la loi 78, sans toutefois approuver la désobéissance civile, même pacifique, car je l’estime contre-productive dans les circonstances.
Les manifestants se préparent à accueillir les 300 000
visiteurs au Grand Prix de Montréal (Photo: Le Devoir)
À l’approche du Grand Prix de Montréal, où des étudiants prévoient bloquer le Métro Jean-Drapeau en tenue légère, la voix des commerçants et hôteliers s’ajoute au concert qui demande au gouvernement de jeter du lest. La ministre Courchesne cherche le moyen de régler le conflit sans perdre la face. Dorénavant, ce n’est qu’une question de temps.

À mon avis, les étudiants avaient déjà gagné, à la fin avril, sur l’accessibilité et l’endettement, avec la bonification des prêts et bourses, le remboursement proportionnel au revenu et l’étalement de la hausse. Le gouvernement pouvait encore dire qu’il n’avait rien cédé. Aujourd’hui, il n’a pas d’autre choix que de plier devant un mouvement social qui a gagné en force. C’est cela aussi, la démocratie.

mercredi 23 mai 2012

Pourquoi on se dispute, déjà?

Si le conflit portait uniquement sur les droits de scolarité, il y a longtemps qu’il aurait été réglé. Si Jean Charest avait voulu la paix sociale, il aurait agi dans son budget du 20 mars. Si les étudiants avaient voulu améliorer l’accessibilité aux études et limiter l’endettement, ils auraient accepté la proposition gouvernementale de la fin avril. Toutes les catégories sociales sauf les plus riches paient moins cher qu’avant les hausses! Y a-t-il quelque chose de plus « social » que cela?

Si, depuis que je commente ce conflit – et pratiquement rien d’autre, je m’intéresse davantage à la stratégie qu’au fond, c’est que pour moi, le fond du problème est simple : si on veut améliorer l’accessibilité et le désendettement, il faut le faire par l’aide financière. Si on diminue les droits de scolarité, on les diminue pour les riches aussi.

J’ai beaucoup critiqué le gouvernement qui a agi trop tard et laissé pourrir le conflit au point où personne ne veut mettre de l’eau dans son vin. J’ai accusé le gouvernement de se faire du capital politique laissant traîner les choses. Mais « it takes two to tango ». À qui profite le crime du côté « social »? Certainement pas aux étudiants en grève, contrairement à ce que Lysiane Gagnon a pu écrire dans La Presse, samedi.

On a beau penser que la différence entre la droite et la gauche, c’est que cette dernière protège aussi des intérêts individuels, mais « en gang ». Toutefois, peu d'étudiants feront un gain personnel au terme de cette grève. Ceux qui sont en première année de cégep ne connaîtront pas la pleine hausse qui s’étale maintenant sur sept ans (sauf s’ils prennent leur temps à terminer leurs études collégiales parce que c’est gratuit). En fait, il faut louer le courage des étudiants qui sacrifient une année d’études (vous verrez!) pour une cause qui, à leurs yeux, est bénéfique à toute la société.
Les salles de classe désertées se rempliront-elle de nouveau fin août?

Comme dans toute lutte sociale, le sacrifice n’est pas partagé de manière égale. Qu’ils soient pour ou contre la grève, un tiers des étudiants des institutions supérieures voient leurs études suspendues. Et qu’ils soient pour ou contre la hausse des droits, deux tiers des étudiants termineront leur session avant l’été. Ils peuvent bien aller marcher avec les manifestants, ils ne subissent pas les conséquences du mouvement. Toute révolution contient son lot d’injustice.

En fait, si le mouvement étudiant québécois est si déterminé, malgré le caractère modeste de l’enjeu de départ, c’est qu’il a entraîné dans son sillage d’autres mouvements sociaux et qu’il surfe sur la grogne (75 % d’insatisfaits) face au gouvernement québécois.

D’une part, la gauche, en général, va de revers en revers depuis 30 ans, en raison du contexte de mondialisation et de la crise de l’État. Même les partis socio-démocrates ont dû gérer la décroissance depuis 1981. De plus, à l’occasion la crise financière de 2008-2009, les gouvernements ont accéléré le dépeçage des programmes sociaux, tout en traitant les entreprises aux petits oignons et en réduisant les impôts pour les remplacer par des tarifs (ça, je ne suis pas entièrement contre, on en reparlera). Un nouveau clivage gauche-droite est en train de se former sur les ruines de la polarisation Québec-Canada. Enfin, la jeune génération remet en cause les institutions politiques en général et les « vieux partis » en particulier.

D’autre part, et c’est en partie la conséquence de ce qui précède, nous sommes face à un gouvernement qui, depuis bientôt 10 ans, a du mal à faire accepter ses initiatives par la population (centrale du Suroît, parc du Mont Orford, gaz de schiste, Plan Nord) et qui vit sous des allégations de corruption. Pas étonnant que tous les adversaires de M. Charest, syndicats,artistes, enseignants, etc., s’empressent d’appuyer la cause étudiante. On peut ajouter à cela des altermondialistes, des anticapitalistes, des indignés, des Anonymous et des Black Bloc qui ont trouvé là des circonstances favorables à l’action, même si le lien entre la hausse des droits et leurs idées n’est pas clair. Tous ces gens ont instrumentalisé le conflit étudiant, au même titre que le gouvernement tente de le faire.

Mais la grande différence avec la grève de 2005, c’est que « l’opinion publique », bien que sympathique aux jeunes en général, n’est pas de son côté cette fois-ci, ni sur la question de la hausse, ni sur celle des moyens employés pour avoir gain de cause[1]. Pour faire pression sur le gouvernement du Québec, le mouvement étudiant et ses alliés doivent déranger, c'est-à-dire « faire du trouble », en bon québécois. D’où ce blocage qui, à terme, favorise le gouvernement.
Comment on fait pour redescendre?

Nous nous trouvons donc devant un conflit qui s’enlise, dont on se rappelle à peine l’enjeu initial, avec des leaders (ou des « porte-parole », c’est selon), qui s’entêtent, qui ne veulent pas reculer d’un pas, de peur de perdre la face. D’une part, Jean Charest profite du fait qu’on détourne l’attention du bilan de son gouvernement, et souhaite aller en élection avec la gloriole d’avoir maté le mouvement étudiant tout en augmentant les droits de scolarité. D'autre part, les étudiants ne savent plus comment « redescendre du poteau », pour reprendre l’expression du leader syndical Michel Arsenault, et sont d’autant moins pressés de le faire, que la session est suspendue.

C’est l’impasse. À moins d’une médiation ou d’une élection, l’été sera long.



[1] Ce rejet est encore plus grand à l’extérieur de Montréal où les perturbations, somme toute limitées pour qui vit dans la région métropolitaine, sont amplifiées par la télévision.