dimanche 30 octobre 2011

« On veut la mettre en mini-jupe "and speak english-e" »

Nous sommes le 30 octobre 1995. Les larmes aux yeux, je quitte le Palais des congrès de Montréal, alors que le Québec venait de rater son Grand rendez-vous avec l’Histoire. Le poète Gaston Miron que, sans le savoir, je voyais pour la dernière fois, m’apostrophe et me dit « On s’est faits voler! » En voiture, j’écoute en boucle le « Tour de l’île » de Félix Leclerc, un hymne à l’indépendance. « Ça signifie, l’heure est venue. Si t’as compris… » Mais trop peu avaient compris : il aurait fallu en convaincre 27 000 de plus.




Pourquoi cette indépendance? Pour Leclerc, c’était pour poursuivre l’aventure historique entreprise au 17e siècle, pour ne pas tomber sous le rouleau compresseur américain, bref, pour rester nous-mêmes et évoluer à notre façon.
Félix Leclerc, 1914-1988
De Gaulle, qui avait « une certaine idée de la France », était venu encourager ce mouvement d’émancipation et d’identité. A bien des égards, le Québec était une inspiration pour lui : moderne, mais néanmoins français. Le progrès n’avait pas à être anglo-américain.
Dans le contexte nord-américain qui est le nôtre, l’indépendance politique est une protection vitale. C’est le seul rempart contre la marginalisation du Québec à l’échelle du Canada, et contre l’érosion du français comme langue commune de tous les Québécois.
Les Québécois auront longtement été les « irréductibles Gaulois ». En 1954, dans son ouvrage Le fédéralisme canadien, l’économiste québécois Maurice Lamontagne, devenu haut fonctionnaire fédéral, enjoignait Maurice Duplessis à abandonner sa lutte « perdue d’avance » pour l’autonomie provinciale, plaidant plutôt pour « l’intégration lucide ».

C'est peut-être ce qui est en train de nous arriver, à nous comme aux autres. Le Québec n’avance plus depuis belle lurette. À quelques exceptions près (Caisse de dépôt et placement, contrôle de l’immigration), il n’a réussi qu’à préserver une autonomie d’ailleurs bien ébréchée par les interventions d’Ottawa dans les champs de compétence des provinces. Pendant ce temps, les forces de l’intégration et de l’uniformisation sont en route, allant de pair avec l’individualisme.
Le premier ministre Harper a beau nous dire qu’il veut protéger la « représentation proportionnelle » du Québec au sein de la Chambre des Communes, cette proportion diminue sans cesse. En 1871, le Québec comptait 32,3% de la population canadienne. Aujourd’hui, c’est 23,1%. Un parti politique peut maintenant gouverner le Canada sans faire élire de députés au Québec.
Jack Jedwab, directeur général de l’Association d’études canadiennes, nie que le recul de « quelques points de pourcentage » du français signifie son déclin. Quelques points tous les dix ans, ça fait combien par génération? Après plus d’un siècle où le français a dominé Montréal, la balance penchera bientôt de nouveau vers l’anglais. Et cela s’entend.
La Presse nous rapporte par ailleurs, que les Québécois se détournent peu à peu de la chanson de langue française, surtout dans la région de Québec. Même Jean Charest trouve qu’il n’y a pas assez d’artistes francophones au Festival d’été de Québec. Rappelons qu'en 1974, la première  édition de ce festival s’appelait la « Superfrancofête ». Aujourd’hui, c’est la célébration des « has been » du rock anglo-saxon.
J’ai passé la moitié du mois d’octobre 2011 en France. Je pensais y trouver du réconfort. Hélas, la métropole de la francophonie, qui est encore un pays souverain, se laisse aller. Déjà, en juin, j’avais constaté que l’Office de tourisme de Montpellier s’affichait avec le titre « Go-Montpellier ». Eh! Bien, cette fois-ci, je me désole à la vue des slogans « Is-ère anybody » pour Grenoble et « Only-Lyon » pour la capitale du Rhône. On se met en mini-jupe, et on speak english.


Je ne sais pas si c’est l’âge ou la déception, mais j’ai parfois l’impression d’assister à la fin d’un monde. A moins d’un sursaut, il y a fort à parier qu’un à un, nous nous fondrons imperceptiblement dans le grand maelstrom où nous ne serons plus les citoyens de nations, mais les clients dans un immense marché. Et lorsque les francophones  ne pèseront plus assez lourd, et que la demande pour les artistes de langue française ne sera plus suffisante, c’est toute notre culture qui disparaîtra et deviendra du folklore. On se sera laissés acheter.