vendredi 31 août 2012

Votons Marois en attendant le nouveau mode de scrutin

La débâcle n’est pas venue. Les intentions de vote pour le PQ se sont en grande partie maintenues malgré les bourdes de la semaine dernière. Mais le parti de Pauline Marois est clairement en « territoire minoritaire », ce qui augure des mois de partisanerie, de coups de gueule et de stratégie politique, avec peu d’action. Notre culture politique s’accommode mal de cette situation. Regardez la gouvernance du Québec de 2007 à 2008. Et celle du Canada de 2004 à 2001. Dans un système politique pensé et voulu pour être gouverné par un parti majoritaire, chaque parti se positionne pour gagner les élections qui suivent et obtenir ainsi de la population les pleins pouvoirs.

En situation minoritaire, on assiste à une succession de chicanes et de déclarations fracassantes pour épater la galerie jusqu’à ce qu’on fasse tomber le gouvernement ou qu’il démissionne. Dans ces circonstances, les partis ne pensent qu’en termes de stratégie. Vous me dites que c’est toujours comme cela? C’est en partie vrai. Sauf qu’en situation minoritaire, les projets de loi du gouvernement sont bloqués, et si l’opposition regroupe réussit à en faire adopter un, il n’est pas appliqué par le gouvernement. Bref, un gouvernement minoritaire, dans notre système parlementaire, c’est le marasme. Que faut-il faire alors?
On veut un gouvernement ou pas?
Dans le système actuel basé sur la confrontation,
un gouvernement minoritaire n'est pas efficace.
 
Notre mode de scrutin « pluralitaire » uninominal à un tour favorise la constitution de gouvernements majoritaires en donnant une « prime » aux grands partis et en défavorisant les petits partis. Quand un petit parti a le vent en poupe, on peut se retrouver avec trois partis à plus de 20 % et la possibilité d’un parlement minoritaire. Mais c’est nécessairement un état transitoire. Tôt ou tard, deux grands partis vont s’installer et s’échanger le pouvoir.

Le mode de scrutin actuel est une injustice pour les électeurs qui appuient de petits partis. Sauf dans les circonscriptions où se présentent leurs chefs, ils sont condamnés à « perdre leur vote », ou à voter pour le « moins pire » des deux grands partis. Faut-il changer notre mode de scrutin pour un système qui refléterait davantage le vote des électeurs à l’échelle nationale?

* * *

Il faut d’abord se rappeler que notre système compte les votes au niveau des circonscriptions et pas au niveau national. Le parti qui arrive le premier dans le plus grand nombre de circonscriptions formera le gouvernement. Jusqu’au milieu du XXe siècle, les élections (au pluriel) étaient des événements locaux. Chaque région élisait son représentant au parlement. Mais cela a beaucoup changé.

De nos jours, quand l’électeur met sa croix à côté du nom d’un candidat, il pense à son parti et à son chef. Son geste n’est pas local, mais bien national. La notoriété des candidats ne pèse plus que pour 5 % environ. Bref, il faudrait compter les votes au niveau global. En 2008, le parti de Jean Charest a obtenu 52,8 % des sièges avec 42,08 % des votes, le parti de Pauline Marois, 40,8 % des sièges avec 35,17 % des votes, le parti de Mario Dumont, 5,6 % avec 16,37 % et celui de Françoise David et Amir Khadir, 0,8 % des sièges avec 3,78 % des voix.

Lorsqu’on calcule les votes au niveau national plutôt qu’au niveau local, il est clair que les grands partis sont sous-représentés et les petits, sous représentés. Pas étonnant que plusieurs électeurs décident de ne plus aller voter. La solution démocratique serait donc un système proportionnel. Toutefois, si on éliminait complètement les circonscriptions, votre région ou votre quartier n’aurait plus de représentant au parlement. Il faut donc conserver des députés élus localement. En même temps, des députés pourraient être ajoutés pour compenser la distorsion du système actuel. C’est ce qu’on appelle le mode de scrutin proportionnel mixte.

Même si on s’en rappelle peu aujourd’hui, les deux grands partis ont flirté avec l’idée au début des années 2000, mais le projet a été enterré par le gouvernement actuel, trop content d’avoir retrouvé sa majorité.

J’ai longtemps pensé que l’avènement d’un mode de scrutin plus proportionnel serait nuisible à la gouvernance, car il renforcerait les petits partis, qui seraient plus nombreux et plus forts, et donnerait presque systématiquement des « parlements à l’italienne », c'est-à-dire ingouvernables, avec des élections à répétition. Cela est plausible durant quelques années, car les partis continueraient pratiquer une politique de confrontation. Mais constatant que cela est vain, ils finiraient bien par changer de culture politique et à collaborer, soit par des alliances parlementaires, soit par des coalitions gouvernementales. C’est une véritable révolution démocratique qui s’opérerait.
* * *

Une réforme du mode de scrutin renforcerair les institution
en faisant en sorte que tous les votes comptent vraiment.
De plus, les partis en chambre seraient obligés d'agir
de manière moins partisante et plus constructiove.

Mais comment fait-on pour vaincre la résistance des grands partis? Voici ma solution. Élisons un gouvernement péquiste majoritaire. Celui-ci adoptera une loi sur le Référendum d’initiative populaire (RIP). Cette mesure a d’abord été pensée pour déclencher un référendum sur la souveraineté, mais pourrait servir à tout projet d’envergure pour lequel un appel au peuple est nécessaire, dont la réforme du mode de scrutin!

Vous répondez : « Regarde le vieux péquiste qui veut nous avoir! » Vous n’avez pas complètement tort. Je constate que depuis 2003, la coalition péquiste menace d’éclater. À force de ne plus parler d’indépendance (on parle plus souvent de référendum, ce qui est le moyen, pas la fin), le ciment de ce parti s’effrite. Des partisans de gauche vont à Québec solidaire, de droite à la CAQ, les plus indépendantistes à Option nationale. Avec notre mode de scrutin, cela est fatal pour un grand parti : à terme, cela ouvre la porte à sa disparition éventuelle en tant que grand parti.

Appuyer un petit parti de gauche ou indépendantiste nous fait courir les risques suivants : ou bien le PQ perd aux mains d’un des deux partis de droite, ou bien il doit gouverner avec l’appui de la CAQ. Ce ne sera pas Québec solidaire et ses deux députés qui pourront faire survivre le gouvernement Marois.

Mon vote à moi n’est pas stratégique. J’appuie le programme social-démocrate du PQ. Mais je fais un marché avec vous. Aidez-moi à élire un gouvernement péquiste majoritaire et j’appuierai de toutes mes forces une réforme du mode de scrutin.

C’est sûr que l’élection d’un gouvernement majoritaire avec 35 % ou 36 % va soulever des tonnes de questions et qu’on sera en bonne position de faire passer un RIP sur une réforme. Et une fois que le système électoral sera plus proportionnel, vous aurez le loisir de me convaincre de changer de parti. Deal?

jeudi 23 août 2012

La boîte à surprises

La mi-campagne est déjà passée et l'issue des élections générales du 4 septembre 2012 est de plus en plus incertaine. Deux gagnants jusqu'à maintenant: à droite, François Legault de la CAQ, qui réussit à s'imposer comme la voie du changement, et à gauche, Françoise David de Québec solidaire qui s'est fait connaître des électeurs lors du débat à quatre, dimanche dernier.



Ces deux protagonistes font des ravages dans l'électorat des grands partis. Jean Charest du Parti libéral pensait bien qu'il pourrait compter sur l'inquiétude qu'a soulevée la crise étudiante auprès d'une bonne partie de la population. Une idée "grotesque" avait-il dit. L'avenir lui a donné raison. Il n'en a pas été question durant la campagne, pour la bonne raison que les étudiants ne sont pas tombés dans le panneau. De toute façon, n'est-ce pas sous la gouverne que des milliers de personnes ont marché dans les rues? Imaginez s'il était réélu! Et puis il y a l'usure du pouvoir... et le parfum de corruption. Même les anglophones désertent les libéraux pour la CAQ!

Pauline Marois et le Parti Québécois avaient bien commencé: en se promenant dans "la rue", cette rue qui est si hostile à Jean Charest, la chef de l'Opposition lui a rendu la monnaie de sa pièce. C'est après que ça s'est gâté. Que l'on soit pour ou contre ses idées sur la laïcité, la controverse autour de Djemila Benhabib, qui a subi les foudres du maire de Saguenay, va repousser une partie de l'électorat nationaliste de droite vers la CAQ. Les tergiversations de Mme Marois sur la question de l'identité et du référendum d'initiative populaire ont relancé l'idée qu'elle n'était pas très claire. MM Charest et Legault en ont profité pour brandir de nouveau le "spectre référendaire". Mme David, dont le processus d'accession est encore plus lourd, n'a pourtant pas été attaquée: les deux autres chefs sont tellement contents qu'elle gruge le vote du PQ!

Ainsi, bien que je sois à plusieurs milliers de kilomètres du Québec, j'ai suffisamment suivi la campagne pour prédire que les prochains sondages montreront le PQ aura perdu des points depuis deux semaines et que les trois autres partis en auront gagné, à moins que le PLQ ne s'effondre. On verra dans les prochains jours si j'ai raison. Si la tendance se maintient, le prochain gouvernement sera minoritaire et devra gouverner avec l'appui de la CAQ.

Mais tous les scénarios sont possibles, car avec notre mode de scrutin, tout peut arriver. Le nombre de sièges n'est pas proportionnel au nombre de votes à l'échelle nationale. Pour gagner une circonscription, il suffit d'arriver premier. Avec des courses à trois... c'est encore plus compliqué à prédire. Ainsi, il ne faudrait pas exclure une vague caquiste... On a déjà vu cela, changer pour changer...

Des mois et des années de plaisir en vue!

mercredi 1 août 2012

OK, tout le monde, on prend du Ritalin

Au lendemain de la première élection du Parti Québécois, en novembre 1976, le caricaturiste Aislin de la Gazette publiait une caricature dans laquelle le premier ministre élu, René Lévesque, conseillait aux anglophones angoissés de se calmer, « Ok, everybody, take a valium ». En ce jour de déclenchement des 40es élections générales au Québec depuis le début du régime canadien en 1867, c’est toute la population du Québec qui souffre d’un déficit d’attention. Hier soir, la télévision de Radio-Canada a fait un « vox pop » pour demander à des électeurs dans la rue ce qu’ils pensaient du déclenchement imminent des élections. Une dame a répondu : « On va être obligés de penser à ça! Non, ce n’est pas bon. » Je lui réponds : prenez du Ritalin et essayez de vous concentrer.

Source: Musée McCord de Montréal


Mêlez-vous de vos affaires!

Le « ça » dont parlait cette citoyenne, qui a autant le droit de voter que vous et moi, c’est la politique, c’est-à-dire les affaires de la nation. À moins de croire, comme les libertariens, que le salut est dans un individualisme absolu, nous avons besoin d’un gouvernement pour arbitrer entre les intérêts particuliers, pour éviter que certains se laissent aller à leurs mauvais penchants, pour protéger le faible contre le fort, pour veiller à l’intérêt national et au bien commun. L’être humain est un animal social.

Et si le citoyen ne s’intéresse pas aux affaires de l’État, quelqu’un va s’en occuper pour lui. Le gouvernement ne s’occupera que du bien de quelques-uns et non du bien commun. Ai-je besoin de vous faire un dessin? La classe politique ne sera bientôt faite que d’une bande d’arrivistes voulant dilapider le trésor public au profit de leur petits-z’amis. Et ce sera de notre faute. Une population éduquée, attentive et participante est garante d’une saine démocratie. Pour ceux et celles qui aiment encore tenir un livre dans leurs mains, je conseille La démocratie, c’est l’affaire de tous, de l’ex-député Yvan Bordeleau

Montréal, Éditions Liber, 2012, 296 p.


Ailleurs, on meurt pour des élections

Vous pensez peut-être que je ressors ici un vieil argument moral : « Voter est un devoir. Des milliers de gens sont morts pour le droit de vote ». Quoi que vous en pensiez, cela est un fait indiscutable encore aujourd’hui. Il faut avoir la mémoire très courte pour ne pas se rappeler du « Printemps arabe » : des milliers de morts et des milliards de dollars de dommages pour se débarrasser de gouvernements corrompus ou sanguinaires en Tunisie, en Égypte, en Libye et au Yémen. Seul le Bahreïn a résisté à la vague révolutionnaire, et ça continue en Syrie.

Là où ces mouvements ont réussi, la démocratie est fragile. En effet, rien n’est gagné dans la plupart de ces pays. Et cela ne se limite pas au Moyen-Orient : depuis la chute du Mur de Berlin, la Russie a gagné la démocratie pour la perdre de nouveau. Nous-mêmes la tenons pour acquise, mais elle peut rapidement nous échapper. Je ne vous ai pas encore parlé de la loi 12 (projet de loi 78) du printemps dernier, car cela fera justement partie du débat électoral.
Le premier débat de l'assemblée législative du Bas-Canada, en 1792,
portait sur l'élection du président.

Ici, depuis 1792, soit 220 ans, nous sommes appelés à demander des comptes à nos dirigeants tous les cinq ans tout au plus, et à les remplacer au besoin. La démocratie québécoise est plus vieille que le Canada lui-même. Rappelons-nous les paroles de Churchill, en 1947, à la Chambre des communes de Londres : « La démocratie est le pire système de gouvernement, à l'exception de tous les autres qui ont pu être expérimentés dans l'histoire. » A-t-on le droit de parler d’une campagne électorale comme d’une nuisance? Je suis convaincu que nous devons notre prospérité et notre sécurité à cette capacité que nous avons de régler pacifiquement les conflits, notamment par la voie électorale.

Pourquoi des élections maintenant?

Dès les premières rumeurs, certains se sont plaints du déclenchement d’élections durant l’été. Or, les élections estivales ont été la norme plutôt que l’exception durant le XXe siècle. Elles sont préférables à des élections hivernales, soumises aux caprices de dame nature. Et à tout prendre, c’est la période idéale : Jeux olympiques mis à part, elles ont toute notre attention. Et le nouveau parlement pourra se réunir comme prévu en octobre.

Ainsi, le gouvernement n’essaie pas de nous en passer « une vite ». Nous serons inondés d’information. M. Charest a agi maintenant pour deux raisons : la reprise le lundi 17 septembre des audiences de la Commission Charbonneau « sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction », pourrait mettre le Parti libéral dans l’embarras et, disons-le, le Parti Québécois dans une moindre mesure. Mais surtout, le premier ministre entend profiter des perturbations qui ne manqueront pas d’accompagner la reprise de la session d’hiver dans les cégeps et les universités à partir du 13 août. En fait, la CLASSE est la bouée de secours de M. Charest. Je vous renvoie à mes billets en vous disant « je vous l’avais bien dit ». Je suis flagorneur, mais cela ne m’empêche pas de trouver cela pitoyable.

* * *

La campagne électorale sera brève. Seulement 32 jours. Même si j’en passerai très exactement la moitié au Mexique, je ne pourrai me retenir de la commenter dans ce blogue. De toute façon, les campagnes se font maintenant dans les médias, dans Internet et dans les réseaux sociaux. Au programme : les limites de la démocratie de représentation, le façonnement de l’opinion publique, le rôle des médias sociaux, les motivations des politiciens, les enjeux de cette élection et bien autres choses.

Entretemps, si vous êtes de ceux et celles qui suivent l’actualité, je vous conseille de passer le test de la boussole électorale de Radio-Canada. Vous pourriez avoir des surprises : en mai 2011, j’étais classé comme un libéral fédéral! À suivre...