samedi 3 novembre 2012

Des gagnants et des perdants

La victoire des étudiants partisans du gel des droits de scolarité au terme de ce qui est convenu d’appeler le « Printemps érable » n’est peut-être pas définitive : on ne sait pas ce qui ressortira du sommet sur l’éducation supérieure. Cependant, le résultat est clair : non seulement la hausse prévue cette année a-t-elle été annulée, mais ce que le gouvernement précédent proposait en échange d’une acceptation de l’augmentation des droits de scolarité, une bonification du régime d’aide financière et des modalités plus flexibles de remboursement des prêts, sera maintenu.

Ce résultat n’aura pas été obtenu sans peine : il est le fruit du sacrifice des étudiants grévistes, qui représentaient moins de la moitié des quelque 300 000 personnes inscrites dans nos institutions d’enseignement supérieures, alors que c’est la totalité des étudiants qui en profitera. Parmi les étudiants directement impliqués dans le mouvement, plusieurs ont laissé tomber leurs études, les ont retardées, ou bien ont dû de se contenter de cours de rattrapage accélérés ou donnés dans des conditions minimales.
Gabriel Nadeau-Dubois: héros, vilain, victime?
Sur le plan du leadership des étudiants (ou plutôt de leur « porte-parole »), c’est Gabriel Nadeau-Dubois qui écope. Bien que je ne sois pas un de ses « fans » — je l’appelais notre petit « Che » pendant le conflit –, il faut reconnaître qu’il a été et demeure le bouc émissaire choisi par Jean Charest. L’ex-premier ministre souhaitait que le conflit s’envenime afin de se présenter aux urnes comme le seul capable de résister à « la rue ». Il ne s’en même pas caché. En refusant de négocier sérieusement, il a favorisé la radicalisation du mouvement des étudiants : la FECQ de Léo Bureau-Blouin et la FEUQ de Martine Desjardins ont été débordées par l’ASSÉ qui, grâce à stratégie de la coalition large (la CLASSE), a mobilisé une grande partie des étudiants dans le but d’élargir l’enjeu à la gratuité scolaire, à la marchandisation de l’éducation et au combat contre le néo-libéralisme.

Tout était en place pour une crise de légitimité. D’un côté : des associations étudiantes qui, fortes du vote majoritaire des leurs membres, faisaient la grève. De l’autre : un gouvernement qui jouait la carte de la légalité, car bien qu’elles soient reconnues par l’État depuis 1983, les associations étudiantes ont tout d’un syndicat sauf le droit de grève. En refusant de négocier, Jean Charest voulait les pousser à l’illégalité.
Comme co-porte-parole de la CLASSE, Gabriel Nadeau-Dubois n’a pas été irréprochable : il n’a pas voulu dénoncer les actes de violence commis durant les manifestations pacifiques, et bien qu’il se disait incapable de prendre position contre la violence sans avoir un mandat de ses membres, il les a quand même appelés à poursuivre la grève à la mi-août. Aujourd’hui, il est devant les tribunaux parce qu’il a publiquement exprimé qu’était légitime pour des étudiants de prendre tous les moyens nécessaires pour faire respecter la grève, y compris – c’était sous-entendu – ne pas respecter les injonctions. Pour lui, cela n’équivalait pas inciter à l’anarchie, c’était défendre le droit à l’éducation. Je trouve l’explication un peu courte, mais là n'est pas la question.

En faisant cela, Gabriel Nadeau-Dubois jouait le rôle que lui avait assigné Jean Charest dans une pièce intitulée « La judiciarisation d’un conflit ». Celui d’un leader prêt à tout pour causer le chaos. C’est parce qu’il refusait de porter ce chapeau, de jouer le rôle du vilain, et aussi, semble-t-il, parce que du côté de l’ASSÉ, on ne le trouvait peut-être pas assez radical, qu’il a démissionné. Aujourd’hui, il paie chèrement son implication dans le mouvement étudiant.
Comme le dit Rima Elkouri dans La Presse de ce matin, le jugement rendu contre Gabriel Nadeau-Dubois est dur à prendre au moment où une kyrielle de bandits à cravate pigent impunément et sans remords dans le trésor public. Menacé d’amende et de prison, il est comme ces milliers d’étudiants qui ont sacrifié une session ou même leurs études : il va peut-être payer de sa personne pour avoir permis que se maintienne le rapport de forces qui lui a permis gagner leur cause.


Maintenant qu'il a perdu son pari,
que fera Jean Charest?
L’autre perdant, c’est Jean Charest. On dira qu’il l’avait bien cherché. Toutefois, les résultats de l’élection du 4 septembre dernier démontrent qu’il a failli gagner son pari en étant reconduit au pouvoir.

Il n’y a rien de simple lorsqu’un conflit s’enflamme et que les protagonistes essaient de le régler à la force du poignet plutôt que prendre le chemin du dialogue. Cela dit, on constate que ceux qui ont joué les cartes de la répression policière et judiciaire d’une part, et de la désobéissance civile d’autre part, ont été les perdants de la crise du printemps et de l’été 2012.

Maintenant que cette page est presque tournée (l’ASSÉ en appelle encore à la grève pour la gratuité scolaire), on se demande si la négociation reprendra ses droits lors du sommet sur l’éducation supérieure. Dans mon esprit, la politique a pour objectif la résolution pacifique des conflits.