mardi 27 mars 2012

Est-on en train d’instrumentaliser le mouvement étudiant?

La crise des droits de scolarité s’éternise et chacun reste sur ses positions. Elle nous oblige à nous poser des questions fondamentales. D’abord, qui doit décider en démocratie?

Les élus? Nous élisons des représentants dans les parlements à qui nous déléguons un pouvoir de décision. Ces personnes ne sont pas infaillibles, et parfois, elles se trompent. Malheureusement, on n’a le droit de les ramener à l’ordre qu’à tous les quatre ou cinq ans. Après un certain temps, tout gouvernement perd nécessairement de la popularité. Toute décision fait des gagnants et des perdants. Un jour ou l’autre, chaque citoyen a désapprouvé au moins une fois le gouvernement en place. Cela s’appelle l’usure du pouvoir.

L’opinion publique doit-elle l’emporter? Pas toujours. Bien sûr, les politiciens surveillent les sondages. Ils ne veulent pas mettre leur élection en péril. Nous sommes dans une société pluraliste sur le plan des idées, grâce notamment aux progrès de la laïcité et de la liberté d’opinion. La plupart du temps, l’opinion est divisée. Et même lorsqu’une majorité se dégage dans l’opinion, il ne faut pas la suivre aveuglément, car on brimerait souvent les minorités. Le « bien commun » est parfois bien difficile à déterminer. De toute façon, les partisans et les adversaires de la hausse sont pratiquement à égalité dans la population.

Alors, la décision doit-elle se prendre dans la rue? Le gouvernement n’a pas à céder chaque fois qu’un groupe d’intérêt refuse sa décision. Il y aurait toujours des gens prêts à envahir les rues. Bien des pays affectionnent la manifestation comme mode ordinaire d’expression politique. Je l’ai observé en France et en Argentine. C’est beaucoup moins le cas ici. Mais quand un nombre important de personnes descendent dans la rue, c’est le signe que le gouvernement fait face à un problème important : celui du manque de consentement.

En effet, ce n’est pas tout de se faire élire et de se faire réélire, il faut gouverner avec le consentement de la population. Le mouvement étudiant québécois dépasse la simple défense d’intérêts égoïstes. Il est motivé par des valeurs et des principes à portée universelle et il est soutenu par plusieurs segments de la population. En ce sens, il est un mouvement social exemplaire.
Même les érables ont cessé de couler ce printemps.

Il existe une solution pour qui veut régler la crise

Pourquoi cette crise semble-t-elle insoluble? La problématique est la suivante :

1) Une proportion importante de la population juge que l’augmentation décrétée par le gouvernement Charest nuit à l’accessibilité aux études supérieures, qu’elle favorise l’endettement des étudiants et qu'elle est inéquitable pour la classe moyenne.

2) Ni le gouvernement Charest, ni les leaders étudiants ne semblent vouloir bouger d'un iota. Le premier, qui est déjà fort impopulaire, n’a rien à perdre et compte sur la lassitude de la population et l’essoufflement des étudiants. Ceux-ci, croyant avoir poussé Charest au pied du mur, veulent accomplir dea actions de plus en plus radicales.

3) Pour plusieurs étudiants, le trimestre devra être prolongé, ce qui posera des problèmes logistiques difficiles dont ils feront principalement les frais.

Quelle solution mutuellement acceptable pourrait sortir le Québec de cette crise? On commence enfin à entendre des suggestions constructives. L’économiste Luc Godbout en fait quelques-unes dans La Presse de ce matin. Je répète la mienne : même si le budget a été déposé, il n’est pas trop tard pour voir à la bonification du programme de prêts et bourses. Pour lutter contre l’endettement, il faut descendre le plafond des prêts. Pour accroître l’accessibilité, il faut augmenter les bourses. Pour soulager la classe moyenne, il faut abaisser le seuil d’accessibilité à l’aide financière.

Ainsi, il est possible pour chacun d’atteindre ses objectifs : faire payer aux  étudiants qui en ont les moyens leur « juste part » tout en évitant l’endettement et en veillant à l’accessibilité ainsi qu’à l’équité. À moins, bien sûr, que le gouvernement Charest n’ait en tête d’instrumentaliser cette crise pour se rendre populaire auprès d'un certain électorat. Ce serait le pari risqué d’un politicien désespéré.   

jeudi 22 mars 2012

Les chargés de cours, la qualité de l’enseignement et le mal-financement des universités

Le débat sur la hausse des droits de scolarité a pris toutes sortes de tangentes au cours des derniers mois : on a parlé de l’endettement des étudiants, des coûts pour la classe moyenne, du financement de l’éducation supérieure, du salaire et des allocations des administrateurs et de la concurrence ruineuse entre les universités. Dans La Presse du 22 mars, Francine Lanoix s’en prend au train de vie des étudiants d’aujourd’hui, les traitant d’enfants gâtés pour justifier que ceux d’entre eux qui en ont les moyens paient davantage pour leur éducation supérieure. Cet apport d’argent nouveau permettrait selon elle de pallier la dégradation de l’enseignement dont le premier signe serait la multiplication des chargés de cours.  

Qui sont les chargé(e)s de cours?

L’enseignement universitaire est dispensé par deux groupes d’enseignants. D’abord, les professeurs, qui partagent leur tâche entre la recherche dans un domaine spécialisé, l’enseignement au premier cycle, l’enseignement et l’encadrement des étudiants aux cycles supérieurs et des tâches administratives. Ensuite, les chargés de cours, qui sont embauchés à contrat uniquement pour donner des cours, et peuvent en donner un ou plusieurs par semestre. Ils ont souvent un autre emploi (d’où ils tirent leur spécialité). Environ 10 pour cent sont des étudiants en fin de doctorat ou des professeurs retraités.

Dans certaines universités et dans plusieurs départements, les chargés de cours assument l’enseignement de plus de la moitié des cours de premier cycle. Leur présence aux cycles supérieurs est plus rare, car ce sont les professeurs, payés pour faire de la recherche, qui y assument l’encadrement des étudiants. Il s’ensuit que ce qui distingue les deux catégories, c’est que les professeurs sont embauchés et promus d’abord en fonction de leur dossier de publications, dans le but de stimuler la recherche, alors que les chargé de cours sont des spécialistes de l’enseignement au premier cycle.

Des économies réalisées dans l’enseignement

Le lien entre le financement des universités et la qualité de l’enseignement existe bel et bien, mais il n’est pas là où madame Lanoix l’a identifié. Tout d’abord, il conviendrait davantage de parler d’un mal-financement fondé sur un mode de financement ruineux. Les universités tirent 12 % de leurs revenus des droits de scolarité et 20 % du financement extérieur, surtout privé. Donc, elles se financent surtout grâce à des subventions gouvernementales basées sur le nombre d’étudiants inscrits[1]. Dans le but d’obtenir plus d’argent, les universités cherchent à recruter le plus d’étudiants possible. Cela entraîne des effets pervers. Au cours des dernières années, on a vu plusieurs universités ouvrir des campus très coûteux sur le territoire autrefois réservé à d’autres universités. Instinctivement, on se dit que cette concurrence entre institutions ne mènera nulle part, car le nombre d’étudiants « potentiels » est limité. Les effectifs augmentent pourtant, quitte à admettre des étudiants moins qualifiés, à qui on prendra bien soin d’accorder la note de passage afin qu’ils demeurent inscrits.

À ces sommes englouties dans la construction de nouveaux édifices hors campus, il faut ajouter les fiascos immobiliers et les primes faramineuses accordées à des administrateurs de certaines universités. Pas étonnant qu’elles soient en mal d’argent. Le recours à un plus grand nombre de chargés de cours au premier cycle a été le premier artifice employé par les universités pour économiser. Un professeur consacre 45 % de son temps à l’enseignement. Même à salaire égal (ce qui n’est pas le cas), un chargé de cours coûte moins cher pour donner le même nombre de cours.

Par conséquent, Madame Lanoix a raison de dire que le ratio professeurs/étudiants a diminué. Mais puisque les cours de premier cycle sont donnés par des professeurs et des chargé de cours compétents, c’est aux cycles supérieurs que la bât blesse : il manque de professeurs pour y encadrer les étudiants, faire de la recherche et assumer les tâches administratives. Les professeurs sont débordés et réclament, à juste titre, plus d’embauches. Plusieurs de ces postes pourraient d’ailleurs être pourvus par des chargés de cours qui n’ont justement pas d’emploi permanent en raison du peu d’embauche des dernières décennies.

Ce n’est pas tout. Les économies réalisées par le ralentissement de l’embauche de professeurs n’a pas suffi. Les universités ont amorcé une deuxième phase d’économies dans leur fonction d’enseignement. Dans bien des universités, on a réduit le besoin d’enseignants en augmentant la taille des groupes-cours. De plus, une partie de plus en plus importante des tâches d’enseignement au premier cycle ont été déléguées à des « auxiliaires d’enseignement », c'est-à-dire des étudiants des cycles supérieurs qui, sous la supervision de professeurs et de chargés de cours, donnent des « séminaires » et des « ateliers ».

Un sommet sur le financement des universités

L’idée que la qualité de l’enseignement universitaire souffre de la présence des chargés de cours ne tient pas la route[2]. Nous sommes précaires, sous-payés et sous-représentés dans les instances décisionnelles, mais nous sommes des spécialistes de l’enseignement. La pénurie de professeurs permanents a surtout des effets sur l’encadrement des étudiants aux cycles supérieurs et sur la recherche. Le gonflement des effectifs étudiants, dicté par l’actuel modèle de financement, se traduit par  des classes de plus en plus grandes, ce qui augmente la distance entre les étudiants et les enseignants. Demain, que feront les universités pour grappiller quelques millions supplémentaires? Nous faire donner nos cours par Internet? La formation à distance est un thème à la mode dans nos universités. Elle risque d’être la nouvelle panacée.

Le mal-financement des universités est à la base des difficultés dont souffrent nos universités. Ses causes sont trop complexes pour qu’on se contente de désigner des boucs émissaires, fussent-ils les étudiants « gâtés » ou les chargés de cours « inexpérimentés », comme disait madame Lanoix. Vivement un sommet sur le financement des universités, tel que suggéré par madame Marois.



[1] Incidemment, la plupart des étudiants sont au premier cycle, c’est ce niveau qui rapporte le plus d’argent et finance l’université. Et la plupart de ces étudiants « payants » reçoivent leur cours de chargés de cours.
[2] Cette idée est souvent véhiculée par les professeurs permanents. Aucun doute qu’elle a été soufflée à Madame Lanoix par son conjoint professeur. Ceux-ci veulent maintenir leur statut et leur pouvoir au sein de l’université et voir à l’embauche d’un plus grand nombre de leurs confrères. J’adore mes collègues professeurs comme individus. Plusieurs sont mes amis. Mais il existe une division entre nos deux classes depuis que nous, chargés de cours, prenons davantage d’espace dans nos institutions.

vendredi 16 mars 2012

Le défi de l’intégration des immigrants (4). L’histoire de Yasmina

Yasmina (nom fictif) est arrivée d’Afrique du Nord dans les années 1980, à l’époque où René Lévesque était premier ministre. Elle a donc été témoin des grands débats sur le statut du Québec. De plus, elle a deux enfants aux études. Ils sont au cœur de la controverse sur la grève et les droits de scolarité. Yasmina travaille chez ma dentiste. J’ai donc fait la connaissance de ma nouvelle hygiéniste dentaire.
 
Y. – Vous ne travaillez pas aujourd’hui?
 
M. – Non, les mardis je prépare mes cours chez moi. De toute façon, mes étudiants sont en grève.
 
Y. – Je sais.  Ma fille risque de ne pas finir certains cours.
 
(Convaincu qu’elle est contre la grève, je lui résume mon dernier billet « Je suis pour la grève et pour la hausse des droits de scolarité ». Elle n’est pas d'accord avec moi.)

Y. – Vous savez, l’éducation est un investissement social. J’ai commencé un cours d’hygiéniste dentaire à 30 ans. Et au lieu de payer 150 $ d’impôt par semaine, j’en paye, quoi? Maintenant 450 $?
 
M. – D’accord, mais c’est un investissement personnel aussi. Votre salaire est à l’avenant.
Y. – Il n’est pas certain que j’aurais fait ces études si elles m’avaient coûté davantage.
 
(Je ne relève pas le fait que le cours d’hygiéniste dentaire se fait au cégep, et qu’il est gratuit. Mais à l’entendre parler, je crois qu’elle aurait pu faire des études plus poussées en d’autres circonstances.)
 
M. – Mais pour ceux qui n’en ont pas les moyens, il y a les bourses…
 
Y. – Ce n’est pas accessible à tout le monde. La classe moyenne n’en profite pas. J’ai décidé de payer toutes ses études de ma fille. Pendant ce temps, je n’investis pas dans mes REER. Et il y a mon fils: lui aussi veut s’inscrire à l’université.
 
(Si j’ai bien compris, elle est contre la grève et contre la hausse. J’espère qu’on va changer de sujet.)
 
Pas facile, de faire la conversation, dans cette position, mais on y arrive....
Y. – Qu’enseignez-vous?
 
M. – Histoire et science politique.
 
Y. – Ah! Ce sont mes passions. Ma fille suit un cours de science politique justement. C’est celui-là qu’elle ne terminera peut-être pas à cause de la grève.
 
(Vérification faite, elle n’est pas dans mon cours sur les systèmes politiques canadien et québécois.)
 
Y. – J’aime mieux la politique internationale. La politique au Québec, il n’y a rien à y comprendre. Les gens changent de partis, les partis changent d’idées. Comme Lucien Bouchard, par exemple.
 
M. – C’est que nos partis ne sont pas les mêmes au fédéral et au provincial. De plus, au Québec, les partis sont encore structurés selon l’allégeance pro-Ottawa, pro-Québec. Le passage de M. Bouchard du parti conservateur au Bloc québécois, puis au Parti Québécois s’explique facilement. Et puis, il a toujours été à droite.
 
Y. – N’empêche qu’il est difficile de faire confiance aux politiciens. Il ne s’en fait plus des hommes comme René Lévesque. On sentait qu’il était sincère, lui. Mais Parizeau…
 
M. – Attention! Pour avoir évolué dans ce milieu-là, je peux vous dire que les politiciens sont souvent très différents de leur image publique.
 
Y. – Et Harper, lui, c’est un danger pour la démocratie.
 
M. – Le Québec aura de plus en plus de mal à exercer du pouvoir à Ottawa, mais on peut amener du changement au niveau provincial. Aujourd’hui, le Parti Québécois est en avance. Pauline Marois aura peut-être la chance de prouver ce qu’elle vaut, elle qui a été ministre d’à peu près tout…
 
(Je me dis qu’à défaut d’être d’accord sur la grève étudiante, on finira peut-être par l'être sur la politique…)
 
Y. – Ah! Pauline, Pauline. Elle se vante d’avoir élevé ses quatre enfants, mais c’est facile quand on a la nounou, le chauffeur et le jardinier!
 
M. – C’est drôle, on lui reproche plus souvent de ne pas être claire.
 
Y. – Ça aussi. Vous savez, cette histoire de souveraineté-association, ça ne tient pas debout. Qu’est-ce qui va arriver de la monnaie? « Ça dépendra de la négociation. » Qu’est-ce qui va arriver du commerce? « Ça dépendra de la négociation. »
 
M. – Au fond, c’est comme si on demandait la permission au Canada anglais. Mais c’est René Lévesque qui a inventé cela!
 
Y. – Personne n’est parfait…
 
* * *
 
J’ai peut-être eu le dernier mot, mais on ne peut pas dire que je l’ai convaincue de grand-chose. Et cela n’a aucune importance. Voilà une femme qui est un modèle d’intégration culturelle, économique et politique. Elle fait mentir ceux et celles qui croient que les immigrants sont une menace au Québec.
 
Après le référendum de 1980, François-Albert Angers avait dit que les immigrants ne devraient pas avoir le droit de voter sur l’avenir du Québec parce qu’ils ne pouvaient pas comprendre la question nationale. Pourtant, Yasmina la comprend très bien. Et puis les Québécois nés à l’étranger forment plus de 10 pour cent de la population. Ils sont donc là pour de bon. Il en viendra d’autres. Ils font partie du Québec d’aujourd’hui et de demain. Ils ont leur mot à dire sur leur nouveau pays. C’est plutôt de les laisser participer aux élections d’un pays qu’ils n’habitent plus qui est étrange.
Le soir du référendum de 1995, Jacques Parizeau a avancé que le OUI avait été battu par « l’agent et des votes ethniques, essentiellement ». Pourtant, la majorité de ceux qui avaient voté NON étaient des « Québécois francophones de souche ». Pourquoi ne s’en est-il pas pris plutôt aux femmes ou aux gens de Québec et de Gatineau, qui ont aussi voté contre la tendance?
Le soir du 30 octobre 1995, les souverainistes issus de l'immigration
se sont sentis doublement ostracisés.
Je ne sais pas ce pour quoi Yasmina a voté en 1995. Je ne sais pas si le camp du OUI a essayé de la convaincre. Toutefois, je sais que depuis qu’elle est Québécoise, elle observe, réfléchit, se forge une opinion et l’exprime. En ce sens, elle est beaucoup plus « intégrée » politiquement que la plupart des citoyens du Québec.

lundi 12 mars 2012

Je suis pour la grève… et pour la hausse des droits de scolarité!

Quoi? Je ne peux pas dire ça? Faudrait que je choisisse? Pourquoi? On peut très bien être pour la grève et pour la hausse des droits de scolarité! Voici pourquoi.
 


Tout d’abord, une analyse de la conjoncture. Les organisations étudiantes ont bien réussi leur mobilisation. Elles ont déclenché des « grèves » (qui sont plus exactement des boycottages) dans les milieux plus radicaux (UQAM, sciences humaines), qui se sont propagées à un grand nombre d’institutions. Plus de 100 000 étudiants des niveaux collégial et universitaire manifestent ainsi leur mécontentement, au nom de l’accessibilité aux études supérieures, à la suite de la décision du gouvernement du Québec de hausser des droits de scolarité. Ce sont de jeunes adultes qui se font les dents et apprennent à prendre leur place sur la politique. Et c’est tant mieux : on a tellement déploré le manque d’engagement des jeunes, je ne vois pas pourquoi on s’opposerait à ce mouvement.
Qui cédera? Le mouvement étudiant ou le gouvernement Charest? Tout dépend de l’opinion publique, qui est en train de se forger actuellement. Rappelons qu’en 2005, les Québécois trouvaient inacceptable la coupure de 103 millions dans le programme de prêts-bourses. Le gouvernement a dû reculer. Cette fois-ci, c’est moins clair. « L’opinion » cherche encore qui a tort et qui a raison, à partir notamment de ce que rapportent les médias qui s’affairent surtout à départager la responsabilité respective des militants étudiants et des policiers dans les affrontements qui ont eu lieu lors des manifestations. Mais que penser du fond de la question?

La gratuité? Allons donc!

D’aucuns réclament la gratuité des études universitaires, comme cela existe dans plusieurs pays d’Europe. Dans un monde idéal, tout serait gratuit et derrière chaque maison coulerait une rivière de miel! Malheureusement, c’est de l’utopie. Les études universitaires coûtent cher. Les contribuables québécois (c’est-à-dire  la proportion de 60 % des adultes payant des impôts) financent actuellement plus de 85 % du coût de l’université. Les étudiants, eux, assument moins de 15 % de ce que coûte leur éducation.

Or, la plupart des provinces vivent une crise budgétaire aux causes multiples : déséquilibre fiscal entre les ordres fédéral et provincial, explosion des coûts de santé, baisse graduelles des impôts au cours des dernières décennies. De plus, le Québec, malgré une richesse collective et un taux d’emploi inférieurs à la moyenne canadienne, bénéficie d’un imposant panier de services sociaux, qui comprend notamment… des études universitaires peu coûteuses pour l’usager.

Mais au-delà de cela, je suis personnellement pour la tarification de certains services publics. Contrairement à ce que prétendent ses détracteurs, la tarification n’est pas de la « marchandisation ». Même dans les pays communistes, les gens payaient ce qu’ils consommaient! Et pour cause : lorsqu’on n’accorde pas de valeur monétaire à une chose, elle perd énormément de valeur aux yeux de ceux et celles qui en font usage. De plus, la gratuité est aussi une porte ouverte au gaspillage.

C’est la même chose pour les études. Si on faisait  porter la totalité du coût de l’éducation universitaire à l’ensemble de la société (ou plus exactement, aux 60 % de contribuables qui paient des impôts), on créerait l’illusion que l’éducation, ça ne coûte rien, ce qui la dévaloriserait aux yeux des étudiantes et étudiants eux-mêmes! De plus, on les encouragerait à s’installer confortablement à l’université, pour plusieurs années.

Ainsi, la  gratuité au cégep incite bien des jeunes à s’y traîner les pieds pendant une année ou deux de trop, voire plus. Ils s’imaginent que c’est gratuit parce que ce n’est pas tarifé. Chaque année coûte pourtant des milliers de dollars à la collectivité.


Maintenir le gel? C’est faire un cadeau à ceux qui ont les moyens!

Depuis le gel des droits de scolarité en 1994, la somme déboursée par les étudiants a diminué en termes réels, en raison de l’augmentation des coûts (l’inflation). À qui a profité cette non-hausse des droits depuis 18 ans? Pas aux moins bien nantis, qui auraient vu leur aide financière augmenter d’autant, mais aux étudiantes et étudiants des classes moyenne et aisée.

Ce que le gouvernement du Québec propose, c’est de faire passer de 12 % à 17 % la part assumée par l’usager des services d’enseignement universitaire. Celle-ci correspond d’ailleurs à la part des coûts qu’assument les parents qui envoient leurs enfants dans les garderies à 7 $. À 17 %, on  ne parle pas de tarification excessive. Le coût du service est socialisé à 83 %!

De plus, malgré la hausse annoncée, le Québec sera encore loin de la moyenne canadienne et même du pourcentage du coût total payé par les étudiants en 1994. En dollars constants, les droits de scolarité seront les mêmes qu’en 1968! Ce geste, qui n’est qu’un rattrapage échelonné sur cinq ans, n’est pas déraisonnable.

Reste l’argument de l’accessibilité. Les opposants à la hausse font un lien entre la fréquentation universitaire et le niveau des droits de scolarité. Les partisans de la hausse affirment le contraire : que là où les droits sont plus chers, la fréquentation est même meilleure. Les études se contredisent là-dessus.

À mon avis, ce lien existe : même si certains étudiants venant de familles à revenus modestes ne vont pas se laisser dissuader devant la perspective de s’endetter de  14 000 $ ou plus pour des études de premier cycle, des milliers de jeunes vont se décourager, surtout si les études n’ont pas été valorisées dans leur famille.  Il faut donc lutter contre l’endettement étudiant. Comment? En réduisant le plafond des prêts étudiants.

Épilogue

Voulez-vous savoir ma prédiction? C’est exactement ce que le budget Bachand du 20 mars prochain va proposer. Dès lors, l’appui au mouvement de « grève » va s’effriter. Après un baroud d’honneur, lors de la grande manifestation du 22 mars, les classes reprendront progressivement durant la semaine du 27 mars. La session d’hiver sera prolongée, la session d’été retardée d’une semaine à certains endroits (dont l’UQAM). Les étudiants auront obtenu une meilleure accessibilité, les universités un peu plus d’argent et le gouvernement s’en tirera sur le plan politique.

Voilà donc pourquoi je suis pour la grève, qui amènera le gouvernement à réduire l’endettement des étudiants, et pour la hausse, qui fera payer un peu plus leurs études à ceux et celles qui en ont les moyens.

Addendum - 20 mars 2012

Je suis un bon conseiller, mais un mauvais prévisionniste. Le gouvernement du Québec n'a pas profité de son budget 2012-2012 pour suivre mon conseil. Puisqu'il ne veut pas réduire l'endettement des bénéficiaires des prêts-bourses, qu'il annule la hausse des droits de scolarité!

vendredi 2 mars 2012

Harper et Poutine

À son origine, le conservatisme était l’idéologie des partisans de la monarchie, ceux qui luttaient contre les assauts démocratiques de la bourgeoisie libérale. Au début du 19e siècle, lorsque le Québec et l’Ontario étaient des colonies de l’Empire britannique, les conservateurs formaient une clique autour des gouverneurs : c’était le Family Compact d’une part, et la Clique du Château d’autre part. Au Canada-Uni, formé en 1840, de la fusion du Haut-Canada et du Bas-Canada, la même aristocratie s’était reformée autour du Gouverneur général. Lorsque les libéraux prirent le pouvoir dans la mère-patrie, et qu’ils donnèrent l’instruction au Gouverneur général de former un gouvernement démocratique au Canada, il y eut bien de la résistance. Les conservateurs ont subi la démocratie imposée de Londres.

À la fin du XIXe siècle, les Conservateurs se méfiaient
de la démocratie et jouaient la carte de l'attachement à la
Couronne britannique.
Les Conservateurs (avec un grand C, ceux du parti du même nom) se méfiaient de la démocratie. Mais la chance fut de leur côté. Au moment de rédiger la constitution fédérale de 1867, ils faisaient partie de la coalition au pouvoir, celle de John A. MacDonald, George-Étienne Cartier et George Brown. Ils avaient comme seuls adversaires les Rouges d’Antoine-Aimé Dorion, qui combattaient le caractère centralisé et antidémocratique de la nouvelle constitution. MacDonald avait manœuvré jusqu’à la dernière minute pour s’assurer que le gouvernement d’Ottawa détienne entre ses mains le plus grand pouvoir possible. À l’encontre des provinces, il avait le pouvoir de désaveu. Contre la Chambre des communes, le gouvernement contrôlait un sénat non élu. Bien entendu, il refusa de soumettre le projet constitutionnel au peuple. La seule colonie qui dut affronter l’opinion avant l’entrée en vigueur de l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique, le Nouveau-Brunswick, a élu un gouvernement hostile à l’union fédérale. Les Conservateurs durent organiser un coup d’État camouflé pour aller de l’avant.

Sous Poutine, la démocratie russe n'est qu'une façade.
Bien sûr, c’était il y a un siècle et demi. Les temps ont changé. Une fois implantées, les mœurs démocratiques ne sauraient être remises en question, sinon dans quelque pays n’ayant jamais vraiment connu la démocratie. Prenons la Russie de Poutine par exemple : élections législatives arrangées, contrôle des médias. Rien de tout cela ne risque d’arriver dans le Canada de Harper. Bien sûr que non… On est loin de l’époque où les Conservateurs défendaient la monarchie…

Avec Harper, on célèbre davantage la monarchie que la démocratie.