vendredi 16 mars 2012

Le défi de l’intégration des immigrants (4). L’histoire de Yasmina

Yasmina (nom fictif) est arrivée d’Afrique du Nord dans les années 1980, à l’époque où René Lévesque était premier ministre. Elle a donc été témoin des grands débats sur le statut du Québec. De plus, elle a deux enfants aux études. Ils sont au cœur de la controverse sur la grève et les droits de scolarité. Yasmina travaille chez ma dentiste. J’ai donc fait la connaissance de ma nouvelle hygiéniste dentaire.
 
Y. – Vous ne travaillez pas aujourd’hui?
 
M. – Non, les mardis je prépare mes cours chez moi. De toute façon, mes étudiants sont en grève.
 
Y. – Je sais.  Ma fille risque de ne pas finir certains cours.
 
(Convaincu qu’elle est contre la grève, je lui résume mon dernier billet « Je suis pour la grève et pour la hausse des droits de scolarité ». Elle n’est pas d'accord avec moi.)

Y. – Vous savez, l’éducation est un investissement social. J’ai commencé un cours d’hygiéniste dentaire à 30 ans. Et au lieu de payer 150 $ d’impôt par semaine, j’en paye, quoi? Maintenant 450 $?
 
M. – D’accord, mais c’est un investissement personnel aussi. Votre salaire est à l’avenant.
Y. – Il n’est pas certain que j’aurais fait ces études si elles m’avaient coûté davantage.
 
(Je ne relève pas le fait que le cours d’hygiéniste dentaire se fait au cégep, et qu’il est gratuit. Mais à l’entendre parler, je crois qu’elle aurait pu faire des études plus poussées en d’autres circonstances.)
 
M. – Mais pour ceux qui n’en ont pas les moyens, il y a les bourses…
 
Y. – Ce n’est pas accessible à tout le monde. La classe moyenne n’en profite pas. J’ai décidé de payer toutes ses études de ma fille. Pendant ce temps, je n’investis pas dans mes REER. Et il y a mon fils: lui aussi veut s’inscrire à l’université.
 
(Si j’ai bien compris, elle est contre la grève et contre la hausse. J’espère qu’on va changer de sujet.)
 
Pas facile, de faire la conversation, dans cette position, mais on y arrive....
Y. – Qu’enseignez-vous?
 
M. – Histoire et science politique.
 
Y. – Ah! Ce sont mes passions. Ma fille suit un cours de science politique justement. C’est celui-là qu’elle ne terminera peut-être pas à cause de la grève.
 
(Vérification faite, elle n’est pas dans mon cours sur les systèmes politiques canadien et québécois.)
 
Y. – J’aime mieux la politique internationale. La politique au Québec, il n’y a rien à y comprendre. Les gens changent de partis, les partis changent d’idées. Comme Lucien Bouchard, par exemple.
 
M. – C’est que nos partis ne sont pas les mêmes au fédéral et au provincial. De plus, au Québec, les partis sont encore structurés selon l’allégeance pro-Ottawa, pro-Québec. Le passage de M. Bouchard du parti conservateur au Bloc québécois, puis au Parti Québécois s’explique facilement. Et puis, il a toujours été à droite.
 
Y. – N’empêche qu’il est difficile de faire confiance aux politiciens. Il ne s’en fait plus des hommes comme René Lévesque. On sentait qu’il était sincère, lui. Mais Parizeau…
 
M. – Attention! Pour avoir évolué dans ce milieu-là, je peux vous dire que les politiciens sont souvent très différents de leur image publique.
 
Y. – Et Harper, lui, c’est un danger pour la démocratie.
 
M. – Le Québec aura de plus en plus de mal à exercer du pouvoir à Ottawa, mais on peut amener du changement au niveau provincial. Aujourd’hui, le Parti Québécois est en avance. Pauline Marois aura peut-être la chance de prouver ce qu’elle vaut, elle qui a été ministre d’à peu près tout…
 
(Je me dis qu’à défaut d’être d’accord sur la grève étudiante, on finira peut-être par l'être sur la politique…)
 
Y. – Ah! Pauline, Pauline. Elle se vante d’avoir élevé ses quatre enfants, mais c’est facile quand on a la nounou, le chauffeur et le jardinier!
 
M. – C’est drôle, on lui reproche plus souvent de ne pas être claire.
 
Y. – Ça aussi. Vous savez, cette histoire de souveraineté-association, ça ne tient pas debout. Qu’est-ce qui va arriver de la monnaie? « Ça dépendra de la négociation. » Qu’est-ce qui va arriver du commerce? « Ça dépendra de la négociation. »
 
M. – Au fond, c’est comme si on demandait la permission au Canada anglais. Mais c’est René Lévesque qui a inventé cela!
 
Y. – Personne n’est parfait…
 
* * *
 
J’ai peut-être eu le dernier mot, mais on ne peut pas dire que je l’ai convaincue de grand-chose. Et cela n’a aucune importance. Voilà une femme qui est un modèle d’intégration culturelle, économique et politique. Elle fait mentir ceux et celles qui croient que les immigrants sont une menace au Québec.
 
Après le référendum de 1980, François-Albert Angers avait dit que les immigrants ne devraient pas avoir le droit de voter sur l’avenir du Québec parce qu’ils ne pouvaient pas comprendre la question nationale. Pourtant, Yasmina la comprend très bien. Et puis les Québécois nés à l’étranger forment plus de 10 pour cent de la population. Ils sont donc là pour de bon. Il en viendra d’autres. Ils font partie du Québec d’aujourd’hui et de demain. Ils ont leur mot à dire sur leur nouveau pays. C’est plutôt de les laisser participer aux élections d’un pays qu’ils n’habitent plus qui est étrange.
Le soir du référendum de 1995, Jacques Parizeau a avancé que le OUI avait été battu par « l’agent et des votes ethniques, essentiellement ». Pourtant, la majorité de ceux qui avaient voté NON étaient des « Québécois francophones de souche ». Pourquoi ne s’en est-il pas pris plutôt aux femmes ou aux gens de Québec et de Gatineau, qui ont aussi voté contre la tendance?
Le soir du 30 octobre 1995, les souverainistes issus de l'immigration
se sont sentis doublement ostracisés.
Je ne sais pas ce pour quoi Yasmina a voté en 1995. Je ne sais pas si le camp du OUI a essayé de la convaincre. Toutefois, je sais que depuis qu’elle est Québécoise, elle observe, réfléchit, se forge une opinion et l’exprime. En ce sens, elle est beaucoup plus « intégrée » politiquement que la plupart des citoyens du Québec.

1 commentaire:

  1. C'est super lorsque deux Québécois se parlent de politique. L'ironie, c'est que certains immigrants sont plus politisés que les citoyens dits de souche parce qu'ils savent à quel point la politique peut décider du destin d'un peuple. Il est bon de leur donner voix au chapitre.

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