lundi 12 mars 2012

Je suis pour la grève… et pour la hausse des droits de scolarité!

Quoi? Je ne peux pas dire ça? Faudrait que je choisisse? Pourquoi? On peut très bien être pour la grève et pour la hausse des droits de scolarité! Voici pourquoi.
 


Tout d’abord, une analyse de la conjoncture. Les organisations étudiantes ont bien réussi leur mobilisation. Elles ont déclenché des « grèves » (qui sont plus exactement des boycottages) dans les milieux plus radicaux (UQAM, sciences humaines), qui se sont propagées à un grand nombre d’institutions. Plus de 100 000 étudiants des niveaux collégial et universitaire manifestent ainsi leur mécontentement, au nom de l’accessibilité aux études supérieures, à la suite de la décision du gouvernement du Québec de hausser des droits de scolarité. Ce sont de jeunes adultes qui se font les dents et apprennent à prendre leur place sur la politique. Et c’est tant mieux : on a tellement déploré le manque d’engagement des jeunes, je ne vois pas pourquoi on s’opposerait à ce mouvement.
Qui cédera? Le mouvement étudiant ou le gouvernement Charest? Tout dépend de l’opinion publique, qui est en train de se forger actuellement. Rappelons qu’en 2005, les Québécois trouvaient inacceptable la coupure de 103 millions dans le programme de prêts-bourses. Le gouvernement a dû reculer. Cette fois-ci, c’est moins clair. « L’opinion » cherche encore qui a tort et qui a raison, à partir notamment de ce que rapportent les médias qui s’affairent surtout à départager la responsabilité respective des militants étudiants et des policiers dans les affrontements qui ont eu lieu lors des manifestations. Mais que penser du fond de la question?

La gratuité? Allons donc!

D’aucuns réclament la gratuité des études universitaires, comme cela existe dans plusieurs pays d’Europe. Dans un monde idéal, tout serait gratuit et derrière chaque maison coulerait une rivière de miel! Malheureusement, c’est de l’utopie. Les études universitaires coûtent cher. Les contribuables québécois (c’est-à-dire  la proportion de 60 % des adultes payant des impôts) financent actuellement plus de 85 % du coût de l’université. Les étudiants, eux, assument moins de 15 % de ce que coûte leur éducation.

Or, la plupart des provinces vivent une crise budgétaire aux causes multiples : déséquilibre fiscal entre les ordres fédéral et provincial, explosion des coûts de santé, baisse graduelles des impôts au cours des dernières décennies. De plus, le Québec, malgré une richesse collective et un taux d’emploi inférieurs à la moyenne canadienne, bénéficie d’un imposant panier de services sociaux, qui comprend notamment… des études universitaires peu coûteuses pour l’usager.

Mais au-delà de cela, je suis personnellement pour la tarification de certains services publics. Contrairement à ce que prétendent ses détracteurs, la tarification n’est pas de la « marchandisation ». Même dans les pays communistes, les gens payaient ce qu’ils consommaient! Et pour cause : lorsqu’on n’accorde pas de valeur monétaire à une chose, elle perd énormément de valeur aux yeux de ceux et celles qui en font usage. De plus, la gratuité est aussi une porte ouverte au gaspillage.

C’est la même chose pour les études. Si on faisait  porter la totalité du coût de l’éducation universitaire à l’ensemble de la société (ou plus exactement, aux 60 % de contribuables qui paient des impôts), on créerait l’illusion que l’éducation, ça ne coûte rien, ce qui la dévaloriserait aux yeux des étudiantes et étudiants eux-mêmes! De plus, on les encouragerait à s’installer confortablement à l’université, pour plusieurs années.

Ainsi, la  gratuité au cégep incite bien des jeunes à s’y traîner les pieds pendant une année ou deux de trop, voire plus. Ils s’imaginent que c’est gratuit parce que ce n’est pas tarifé. Chaque année coûte pourtant des milliers de dollars à la collectivité.


Maintenir le gel? C’est faire un cadeau à ceux qui ont les moyens!

Depuis le gel des droits de scolarité en 1994, la somme déboursée par les étudiants a diminué en termes réels, en raison de l’augmentation des coûts (l’inflation). À qui a profité cette non-hausse des droits depuis 18 ans? Pas aux moins bien nantis, qui auraient vu leur aide financière augmenter d’autant, mais aux étudiantes et étudiants des classes moyenne et aisée.

Ce que le gouvernement du Québec propose, c’est de faire passer de 12 % à 17 % la part assumée par l’usager des services d’enseignement universitaire. Celle-ci correspond d’ailleurs à la part des coûts qu’assument les parents qui envoient leurs enfants dans les garderies à 7 $. À 17 %, on  ne parle pas de tarification excessive. Le coût du service est socialisé à 83 %!

De plus, malgré la hausse annoncée, le Québec sera encore loin de la moyenne canadienne et même du pourcentage du coût total payé par les étudiants en 1994. En dollars constants, les droits de scolarité seront les mêmes qu’en 1968! Ce geste, qui n’est qu’un rattrapage échelonné sur cinq ans, n’est pas déraisonnable.

Reste l’argument de l’accessibilité. Les opposants à la hausse font un lien entre la fréquentation universitaire et le niveau des droits de scolarité. Les partisans de la hausse affirment le contraire : que là où les droits sont plus chers, la fréquentation est même meilleure. Les études se contredisent là-dessus.

À mon avis, ce lien existe : même si certains étudiants venant de familles à revenus modestes ne vont pas se laisser dissuader devant la perspective de s’endetter de  14 000 $ ou plus pour des études de premier cycle, des milliers de jeunes vont se décourager, surtout si les études n’ont pas été valorisées dans leur famille.  Il faut donc lutter contre l’endettement étudiant. Comment? En réduisant le plafond des prêts étudiants.

Épilogue

Voulez-vous savoir ma prédiction? C’est exactement ce que le budget Bachand du 20 mars prochain va proposer. Dès lors, l’appui au mouvement de « grève » va s’effriter. Après un baroud d’honneur, lors de la grande manifestation du 22 mars, les classes reprendront progressivement durant la semaine du 27 mars. La session d’hiver sera prolongée, la session d’été retardée d’une semaine à certains endroits (dont l’UQAM). Les étudiants auront obtenu une meilleure accessibilité, les universités un peu plus d’argent et le gouvernement s’en tirera sur le plan politique.

Voilà donc pourquoi je suis pour la grève, qui amènera le gouvernement à réduire l’endettement des étudiants, et pour la hausse, qui fera payer un peu plus leurs études à ceux et celles qui en ont les moyens.

Addendum - 20 mars 2012

Je suis un bon conseiller, mais un mauvais prévisionniste. Le gouvernement du Québec n'a pas profité de son budget 2012-2012 pour suivre mon conseil. Puisqu'il ne veut pas réduire l'endettement des bénéficiaires des prêts-bourses, qu'il annule la hausse des droits de scolarité!

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