jeudi 22 mars 2012

Les chargés de cours, la qualité de l’enseignement et le mal-financement des universités

Le débat sur la hausse des droits de scolarité a pris toutes sortes de tangentes au cours des derniers mois : on a parlé de l’endettement des étudiants, des coûts pour la classe moyenne, du financement de l’éducation supérieure, du salaire et des allocations des administrateurs et de la concurrence ruineuse entre les universités. Dans La Presse du 22 mars, Francine Lanoix s’en prend au train de vie des étudiants d’aujourd’hui, les traitant d’enfants gâtés pour justifier que ceux d’entre eux qui en ont les moyens paient davantage pour leur éducation supérieure. Cet apport d’argent nouveau permettrait selon elle de pallier la dégradation de l’enseignement dont le premier signe serait la multiplication des chargés de cours.  

Qui sont les chargé(e)s de cours?

L’enseignement universitaire est dispensé par deux groupes d’enseignants. D’abord, les professeurs, qui partagent leur tâche entre la recherche dans un domaine spécialisé, l’enseignement au premier cycle, l’enseignement et l’encadrement des étudiants aux cycles supérieurs et des tâches administratives. Ensuite, les chargés de cours, qui sont embauchés à contrat uniquement pour donner des cours, et peuvent en donner un ou plusieurs par semestre. Ils ont souvent un autre emploi (d’où ils tirent leur spécialité). Environ 10 pour cent sont des étudiants en fin de doctorat ou des professeurs retraités.

Dans certaines universités et dans plusieurs départements, les chargés de cours assument l’enseignement de plus de la moitié des cours de premier cycle. Leur présence aux cycles supérieurs est plus rare, car ce sont les professeurs, payés pour faire de la recherche, qui y assument l’encadrement des étudiants. Il s’ensuit que ce qui distingue les deux catégories, c’est que les professeurs sont embauchés et promus d’abord en fonction de leur dossier de publications, dans le but de stimuler la recherche, alors que les chargé de cours sont des spécialistes de l’enseignement au premier cycle.

Des économies réalisées dans l’enseignement

Le lien entre le financement des universités et la qualité de l’enseignement existe bel et bien, mais il n’est pas là où madame Lanoix l’a identifié. Tout d’abord, il conviendrait davantage de parler d’un mal-financement fondé sur un mode de financement ruineux. Les universités tirent 12 % de leurs revenus des droits de scolarité et 20 % du financement extérieur, surtout privé. Donc, elles se financent surtout grâce à des subventions gouvernementales basées sur le nombre d’étudiants inscrits[1]. Dans le but d’obtenir plus d’argent, les universités cherchent à recruter le plus d’étudiants possible. Cela entraîne des effets pervers. Au cours des dernières années, on a vu plusieurs universités ouvrir des campus très coûteux sur le territoire autrefois réservé à d’autres universités. Instinctivement, on se dit que cette concurrence entre institutions ne mènera nulle part, car le nombre d’étudiants « potentiels » est limité. Les effectifs augmentent pourtant, quitte à admettre des étudiants moins qualifiés, à qui on prendra bien soin d’accorder la note de passage afin qu’ils demeurent inscrits.

À ces sommes englouties dans la construction de nouveaux édifices hors campus, il faut ajouter les fiascos immobiliers et les primes faramineuses accordées à des administrateurs de certaines universités. Pas étonnant qu’elles soient en mal d’argent. Le recours à un plus grand nombre de chargés de cours au premier cycle a été le premier artifice employé par les universités pour économiser. Un professeur consacre 45 % de son temps à l’enseignement. Même à salaire égal (ce qui n’est pas le cas), un chargé de cours coûte moins cher pour donner le même nombre de cours.

Par conséquent, Madame Lanoix a raison de dire que le ratio professeurs/étudiants a diminué. Mais puisque les cours de premier cycle sont donnés par des professeurs et des chargé de cours compétents, c’est aux cycles supérieurs que la bât blesse : il manque de professeurs pour y encadrer les étudiants, faire de la recherche et assumer les tâches administratives. Les professeurs sont débordés et réclament, à juste titre, plus d’embauches. Plusieurs de ces postes pourraient d’ailleurs être pourvus par des chargés de cours qui n’ont justement pas d’emploi permanent en raison du peu d’embauche des dernières décennies.

Ce n’est pas tout. Les économies réalisées par le ralentissement de l’embauche de professeurs n’a pas suffi. Les universités ont amorcé une deuxième phase d’économies dans leur fonction d’enseignement. Dans bien des universités, on a réduit le besoin d’enseignants en augmentant la taille des groupes-cours. De plus, une partie de plus en plus importante des tâches d’enseignement au premier cycle ont été déléguées à des « auxiliaires d’enseignement », c'est-à-dire des étudiants des cycles supérieurs qui, sous la supervision de professeurs et de chargés de cours, donnent des « séminaires » et des « ateliers ».

Un sommet sur le financement des universités

L’idée que la qualité de l’enseignement universitaire souffre de la présence des chargés de cours ne tient pas la route[2]. Nous sommes précaires, sous-payés et sous-représentés dans les instances décisionnelles, mais nous sommes des spécialistes de l’enseignement. La pénurie de professeurs permanents a surtout des effets sur l’encadrement des étudiants aux cycles supérieurs et sur la recherche. Le gonflement des effectifs étudiants, dicté par l’actuel modèle de financement, se traduit par  des classes de plus en plus grandes, ce qui augmente la distance entre les étudiants et les enseignants. Demain, que feront les universités pour grappiller quelques millions supplémentaires? Nous faire donner nos cours par Internet? La formation à distance est un thème à la mode dans nos universités. Elle risque d’être la nouvelle panacée.

Le mal-financement des universités est à la base des difficultés dont souffrent nos universités. Ses causes sont trop complexes pour qu’on se contente de désigner des boucs émissaires, fussent-ils les étudiants « gâtés » ou les chargés de cours « inexpérimentés », comme disait madame Lanoix. Vivement un sommet sur le financement des universités, tel que suggéré par madame Marois.



[1] Incidemment, la plupart des étudiants sont au premier cycle, c’est ce niveau qui rapporte le plus d’argent et finance l’université. Et la plupart de ces étudiants « payants » reçoivent leur cours de chargés de cours.
[2] Cette idée est souvent véhiculée par les professeurs permanents. Aucun doute qu’elle a été soufflée à Madame Lanoix par son conjoint professeur. Ceux-ci veulent maintenir leur statut et leur pouvoir au sein de l’université et voir à l’embauche d’un plus grand nombre de leurs confrères. J’adore mes collègues professeurs comme individus. Plusieurs sont mes amis. Mais il existe une division entre nos deux classes depuis que nous, chargés de cours, prenons davantage d’espace dans nos institutions.

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