mercredi 23 mai 2012

Pourquoi on se dispute, déjà?

Si le conflit portait uniquement sur les droits de scolarité, il y a longtemps qu’il aurait été réglé. Si Jean Charest avait voulu la paix sociale, il aurait agi dans son budget du 20 mars. Si les étudiants avaient voulu améliorer l’accessibilité aux études et limiter l’endettement, ils auraient accepté la proposition gouvernementale de la fin avril. Toutes les catégories sociales sauf les plus riches paient moins cher qu’avant les hausses! Y a-t-il quelque chose de plus « social » que cela?

Si, depuis que je commente ce conflit – et pratiquement rien d’autre, je m’intéresse davantage à la stratégie qu’au fond, c’est que pour moi, le fond du problème est simple : si on veut améliorer l’accessibilité et le désendettement, il faut le faire par l’aide financière. Si on diminue les droits de scolarité, on les diminue pour les riches aussi.

J’ai beaucoup critiqué le gouvernement qui a agi trop tard et laissé pourrir le conflit au point où personne ne veut mettre de l’eau dans son vin. J’ai accusé le gouvernement de se faire du capital politique laissant traîner les choses. Mais « it takes two to tango ». À qui profite le crime du côté « social »? Certainement pas aux étudiants en grève, contrairement à ce que Lysiane Gagnon a pu écrire dans La Presse, samedi.

On a beau penser que la différence entre la droite et la gauche, c’est que cette dernière protège aussi des intérêts individuels, mais « en gang ». Toutefois, peu d'étudiants feront un gain personnel au terme de cette grève. Ceux qui sont en première année de cégep ne connaîtront pas la pleine hausse qui s’étale maintenant sur sept ans (sauf s’ils prennent leur temps à terminer leurs études collégiales parce que c’est gratuit). En fait, il faut louer le courage des étudiants qui sacrifient une année d’études (vous verrez!) pour une cause qui, à leurs yeux, est bénéfique à toute la société.
Les salles de classe désertées se rempliront-elle de nouveau fin août?

Comme dans toute lutte sociale, le sacrifice n’est pas partagé de manière égale. Qu’ils soient pour ou contre la grève, un tiers des étudiants des institutions supérieures voient leurs études suspendues. Et qu’ils soient pour ou contre la hausse des droits, deux tiers des étudiants termineront leur session avant l’été. Ils peuvent bien aller marcher avec les manifestants, ils ne subissent pas les conséquences du mouvement. Toute révolution contient son lot d’injustice.

En fait, si le mouvement étudiant québécois est si déterminé, malgré le caractère modeste de l’enjeu de départ, c’est qu’il a entraîné dans son sillage d’autres mouvements sociaux et qu’il surfe sur la grogne (75 % d’insatisfaits) face au gouvernement québécois.

D’une part, la gauche, en général, va de revers en revers depuis 30 ans, en raison du contexte de mondialisation et de la crise de l’État. Même les partis socio-démocrates ont dû gérer la décroissance depuis 1981. De plus, à l’occasion la crise financière de 2008-2009, les gouvernements ont accéléré le dépeçage des programmes sociaux, tout en traitant les entreprises aux petits oignons et en réduisant les impôts pour les remplacer par des tarifs (ça, je ne suis pas entièrement contre, on en reparlera). Un nouveau clivage gauche-droite est en train de se former sur les ruines de la polarisation Québec-Canada. Enfin, la jeune génération remet en cause les institutions politiques en général et les « vieux partis » en particulier.

D’autre part, et c’est en partie la conséquence de ce qui précède, nous sommes face à un gouvernement qui, depuis bientôt 10 ans, a du mal à faire accepter ses initiatives par la population (centrale du Suroît, parc du Mont Orford, gaz de schiste, Plan Nord) et qui vit sous des allégations de corruption. Pas étonnant que tous les adversaires de M. Charest, syndicats,artistes, enseignants, etc., s’empressent d’appuyer la cause étudiante. On peut ajouter à cela des altermondialistes, des anticapitalistes, des indignés, des Anonymous et des Black Bloc qui ont trouvé là des circonstances favorables à l’action, même si le lien entre la hausse des droits et leurs idées n’est pas clair. Tous ces gens ont instrumentalisé le conflit étudiant, au même titre que le gouvernement tente de le faire.

Mais la grande différence avec la grève de 2005, c’est que « l’opinion publique », bien que sympathique aux jeunes en général, n’est pas de son côté cette fois-ci, ni sur la question de la hausse, ni sur celle des moyens employés pour avoir gain de cause[1]. Pour faire pression sur le gouvernement du Québec, le mouvement étudiant et ses alliés doivent déranger, c'est-à-dire « faire du trouble », en bon québécois. D’où ce blocage qui, à terme, favorise le gouvernement.
Comment on fait pour redescendre?

Nous nous trouvons donc devant un conflit qui s’enlise, dont on se rappelle à peine l’enjeu initial, avec des leaders (ou des « porte-parole », c’est selon), qui s’entêtent, qui ne veulent pas reculer d’un pas, de peur de perdre la face. D’une part, Jean Charest profite du fait qu’on détourne l’attention du bilan de son gouvernement, et souhaite aller en élection avec la gloriole d’avoir maté le mouvement étudiant tout en augmentant les droits de scolarité. D'autre part, les étudiants ne savent plus comment « redescendre du poteau », pour reprendre l’expression du leader syndical Michel Arsenault, et sont d’autant moins pressés de le faire, que la session est suspendue.

C’est l’impasse. À moins d’une médiation ou d’une élection, l’été sera long.



[1] Ce rejet est encore plus grand à l’extérieur de Montréal où les perturbations, somme toute limitées pour qui vit dans la région métropolitaine, sont amplifiées par la télévision.

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