« Duplessis, reviens nous libérer de Charest. » Cette affiche de la manifestation du 22 avril laisse entendre que l'attitude du gouvernement actuel est pire que celle du « Chef »
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Le gouvernement comptait sur un essoufflement du mouvement.
Il s'est trompé. Il a tenu la ligne dure et il a trop attendu pour faire une
offre acceptable, ce qui lui a fait rater sa fenêtre électorale. Ne reculant
devant rien, Jean Charest a sacrifié la ministre qui avait exécuté fidèlement
ses ordres, il a durci le ton d’un cran et il joue actuellement le tout pour le
tout.
Son pari est risqué, il pourrait bien le remporter. Si les
étudiants rentrent, il criera victoire. Si la crise perdure à l’automne, il
fera l'élection sur leur dos. Il ne perdra aucun vote chez les étudiants et
leurs alliés, qui sont déjà contre lui. Mais il espère en récolter suffisamment
parmi les 58 % qui sont pour la hausse, pour gagner les élections de
manière très serrée.
En effet, grâce à notre mode de scrutin, M. Charest n'a
besoin que d’environ 38 % des voix pour être reconduit majoritaire. Il lui
manque actuellement une dizaine de points. Tant que dure la crise, on parle
moins de corruption, de gaz de schiste et de Plan Nord. Toutefois, la stratégie
du gouvernement a un défaut, c’est que parmi les électeurs favorables à la
hausse, plusieurs considèrent que M. Charest a géré la crise de manière cynique.
Ils voient clair dans son jeu. Ceux-là sont une clientèle à la portée de la CAQ
de François Legault. Comment le vote pro-gouvernemental va-t-il se répartir
entre le PLQ et la CAQ. Comment le vote pro-étudiant va-t-il se répartir entre
le PQ et Québec solidaire? Tout peut arriver.
Cela dit, tant que le gouvernement fait passer les étudiants
pour des fauteurs de trouble, il marque des points. C’est dans ce contexte qu’il
faut voir la loi 78 adoptée par l’Assemblée nationale vendredi dernier, une loi
spéciale intitulée « Loi permettant aux étudiants de recevoir
l’enseignement dispensé par les établissements de niveau postsecondaire qu'ils
fréquentent ». Cette loi contient trois éléments qui n’ont pas tous la
même portée.
1) La suspension de la session pour les cours arrêtés en
raison de la grève. C’est une mesure souhaitée par tous car elle qui tire
les universités, les enseignants et les étudiants eux-mêmes d’une situation
devenue intenable. A-t-elle été adoptée pour calmer le jeu et pour négocier
avec les étudiants un règlement à la crise? Le gouvernement dit garder ouverts « les
canaux de communication ». Mais c’est de la poudre aux yeux. Si elle avait
eu le mandat de régler le conflit, Mme Courchesne ne se serait pas contentée de
quelques coups de téléphone.
2) Des mesures de retour en classe. On veut permettre
aux étudiants « qui veulent étudier » de revenir en classe au mois d’août.
On rejette donc le caractère décisionnel des assemblées étudiantes. Ceux et
celles qui sont pour la grève, même s’ils sont majoritaires au sein d’une
association, n’auraient qu’un droit individuel de « boycotter » les
cours, c'est-à-dire, en clair, de les abandonner! Autrement dit, on ne
reconnaît plus le droit de grève des étudiants. À défaut d’être inscrit dans
une loi, ce droit faisait partie du consensus social. De plus, on obligera tous
les employés des cégeps et des universités à donner les cours, même s’il n’y a
que deux ou trois étudiants dans la classe. En fait, cette deuxième partie de
la loi vise à briser le rapport de forces créé par la mobilisation exemplaire
des étudiants.
3) Des menaces à la liberté d’expression et au droit d’association.
C’est la partie de la loi qui a causé le plus de réactions négatives, et pour
cause. Ces mesures apparaissent inutiles, les lois actuelles suffisent à
contrôler les débordements qui sont le fait de casseurs opportunistes. La
police de Montréal n’a pas invoqué la loi 78 à l’occasion des manifestations
qui ont eu lieu depuis vendredi soir. Les personnes arrêtées l’ont été en
vertu du code criminel. Ce que le gouvernement cherche à faire, c’est de
provoquer une indignation telle que les étudiants et leurs alliés vont se radicaliser
davantage, tandis que lui se posera en champion de la paix sociale.
Qu’on soit pour ou contre la hausse des droits de scolarité,
le mouvement étudiant du printemps 2012 ne laisse pas d’impressionner et prouve
que les jeunes peuvent encore s’engager dans des combats politiques. Ils ne
marchent plus pour le français ou l’indépendance comme avant, mais ils
remettent en cause les institutions politiques et les idéologies affairistes qui
ne répondent plus à leurs besoins. Outre la question de l’accessibilité à l’éducation
supérieure, leurs revendications ne sont pas toujours précises, mais ça
viendra.
Les manifestations illégales font le jeu du gouvernement. Leur répression fait le jeu des étudiants. |
Cet apprentissage de la politique doit se faire dans la
compréhension des objectifs du gouvernement. Dès la fin mars, il était évident
qu’il ne désirait céder sur rien et cherchait à polariser le débat. Aujourd’hui,
il compte sur un dérapage pour remporter la victoire contre le mouvement étudiant.
La population n'aime pas plus l'agitation que la répression. La meilleure réponse à la loi 78 est de mobiliser un grand nombre de personnes
pacifiques lors de manifestations encadrées, comme celles du 22 mars et du 22
avril.
P.-S. Dans une société libre et démocratique, on doit
pouvoir exprimer les opinions à visage découvert. Il me semble que participer masqué
à une manifestation n'a pas plus de valeur que de signer une pétition en
n'écrivant pas son nom. Je ne sais pas si notre démocratie est en bonne santé,
mais le droit de manifester existe bel et bien – après comme avant la loi 78,
et ceux et celles qui se masquent le visage durant les manifs étudiantes n'ont
d'autre raison que celle de commettre des méfaits. Cela met en danger la cause
du mouvement étudiant actuel et renforce la position du gouvernement. C'est une
des raisons pour lesquelles j'appuie la proposition du maire de Montréal
d'interdire le port des masques durant les manifestations. Sus aux casseurs!
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