dimanche 22 avril 2012

« Soyons réalistes, exigeons l’impossible »

« Seamos realistas, pidamos lo imposible »

-        « Che » Guevara

La phrase attribuée à Che Guevara, et reprise par les contestataires français de Mai-68, représente bien la frustration d’une bonne partie de la population qui passe de résignée à indignée.
Ernesto "Che" Guevara, 1928-1967



Elles sont loin, les années 1960 avec leurs promesses de « progrès » social et économique continu. Les quelques décennies de réformisme nous ont-elles amenés dans un cul-de-sac? Oui, la production économique augmente, mais à quel prix? Celui d'écarts de richesse plus en plus grands, tant à l’échelle nationale qu’internationale,  et d’un environnement de moins en moins viable. Sommes-nous en train de scier la branche sur laquelle nous sommes assis?

Les années appelées « Les Trente Glorieuses » (1945-1975) nous ont fait croire que le progrès rimait avec croissance économique. Les possibilités nouvelles de redistribution de la richesse et de progrès social (paix, démocratie, éducation, culture) nous ont dopés : nous nous sommes endormis sur nos lauriers, croyant que cela allait durer indéfiniment, oubliant le principe de précaution, et nous complaisant dans un matérialisme et un individualisme qui ont ouvert la voie à l’égoïsme. Ainsi, le jour où se pointent des difficultés, c’est le chacun pour soi.

Quelle est l’origine de ces difficultés? Nous avons surestimé la capacité du système capitaliste d'assurer une croissance économique et bien répartie. Nous avons compté sur lui pour poursuivre ces années d’opulence auxquelles on s’était habitué. Dans notre confort, nous avons ignoré l’appauvrissement des pays du Sud. Nous avons toléré des régimes répressifs (pour peu qu’ils soient utiles à notre modèle économique), nous avons regardé les entreprises manufacturières déménager dans des pays où on exploite les travailleurs (pourvu qu’on puisse consommer des produits à bas prix), nous avons laissé les usines polluantes faire leur œuvre (puisqu’elles polluaient surtout ailleurs) et surtout, nous avons laissé notre principal outil collectif, l’État,  tomber entre les mains des « puissances d’argent ».

Qui mène la politique aujourd’hui, comme aux belles années du Duplessisme, ceux et celles qui ont un intérêt personnel à exploiter les fonds publics. Les opportunistes ont remplacé les idéalistes, à la faveur de notre indifférence. C’est notre désengagement politique, illustré par les bas taux de participation électorale, qui nous a menés là.


1994
%          sièges
1998
%       sièges
2003
%        sièges
2007
%        sièges
2008
%    sièges
ADQ
6,5
1
11,9
1
18,2
4
30,1
41
16,4
7
PQ
44,9
77
42,9
76
33,2
45
28,4
36
35,2
51
PLQ
44,4
47
43,5
48
45,9
76
33,1
48
42,1
66
QS






3,6

3,8
1
Vert




0,4

3,9

2,2

% de part.

81,6

78,3

70,5

71,2

57,4



Avons-nous vraiment les gouvernements que nous méritons? D’une part, plus de 42 % des électeurs inscrits ne se sont pas donné la peine de se déplacer aux urnes en décembre 2008. Et ce taux d’abstention est encore plus important chez les jeunes. De quoi ces gens ont-ils le droit de se plaindre aujourd’hui?

Ils se plaignent d’abord que « l’offre politique » est devenue dérisoire. Que les partis politiques tiennent un discours politique semblable et qu’une fois au pouvoir, ils renient une partie de leurs engagements. Ils se plaignent que notre mode de scrutin mis en place au XVIIIe siècle déforme le verdict électoral : le parti au pouvoir à Québec a obtenu une majorité des sièges (66 sur 125, soit 52,8 %) grâce à 42,1 % des votes. Ils se plaignent enfin que les élus du gouvernement deviennent insensibles entre les élections. Pas étonnant, par conséquent, qu’il y ait tant de gens dans les rues.

1837-1838 : âge des révolutions, révolte des Patriotes.

1968-1969 : mouvements étudiants à la Sorbonne, à Berkeley et au Québec aussi.

2011-2012 : Printemps arabe, Printemps québécois.

Oui, il y a contagion. Mais ce n’est pas la seule explication. Il y a des problèmes semblables dans tous ces pays : des régimes sourds aux appels du peuple, un système économique qui met des millions de personnes dans une situation intenable. Ce qui fait s’enflammer la rue, c’est une conscience aiguë des injustices qui ont cours, qui atteint même le peuple de satisfaits que nous sommes.

Que faire? Changer notre perspective de la politique. Cesser pour un moment de la regarder par le petit bout de la lorgnette. Quand nous ne nous préoccupons pas seulement de notre confort personnel (salaire, pension, vacances, crédits universitaires), nous avons le nez collé sur de petits problèmes auxquel nous ne trouvons pas de solutions. Deux exemples : le français et les droits de scolarité.

Problème numéro un : après 30 ans de progrès, la langue française est en recul au Québec. Les exemples abondent dans l’actualité. Or, on ne veut pas bousculer les droits individuels, on ne veut pas paraître xénophobe, on ne veut pas faire fuir les entreprises et leurs dirigeants. Bref, on ne veut plus appliquer la Charte de la langue française.

Problème numéro deux : après une période de gel des droits de scolarité – ce qui, avec l’inflation, était équivalent à une baisse, on demande un rajustement. Après avoir rêvé de gratuité scolaire, on accepte le compromis d’un partage du coût entre les étudiants, les contribuables et les mécènes. Pourquoi? Parce que l’État québécois, pris entre les baisses d’impôt des entreprises jugées nécessaires en raison de la mondialisation et le déséquilibre fiscal de la fédération, n’aurait pas les moyens d’aller plus loin. Et le Plan Nord, alors?





Le Jour de la Terre, 22 avril 2012: pour la sauvegarde
de notre principal bien commun, notre planète,
et pour un meilleur partage de ses ressources.

Épuisement des ressources, mauvaise répartition de la richesse mondiale et nationale, politiciens insensibles aux intérêts du peuple, érosion du pilier identitaire de la nation québécoise et de son principal instrument collectif, l’État. Toute une série de problèmes auxquels les solutions réformistes semblent impuissantes. Peut-on rêver d’un réel progrès dans un système international dominé par le capitalisme et en laissant l’État québécois pris en sandwich entre les entrepreneurs venus des quatre coins de la planète et le fédéralisme canadien?

Profitons du Jour de la Terre, pour prendre du recul par rapport aux problèmes qui, pris un à un, semblent insolubles. Rêvons d’un monde meilleur. Exigeons l’impossible.

« Le monde d’aujourd’hui est fait des rêves d’hier. »

-        Garry Davis

2 commentaires:

  1. Jusqu'ici c'est ton meilleur texte selon moi!

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  2. Merci Dan. Le plus difficile, ce sera d'aborder les solutions. Ce sera pour une prochaine fois.

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