« Seamos realistas, pidamos lo
imposible »
-
« Che » Guevara
La phrase attribuée à Che
Guevara, et reprise par les contestataires français de Mai-68, représente bien
la frustration d’une bonne partie de la population qui passe de résignée à
indignée.
Ernesto "Che" Guevara, 1928-1967 |
Elles sont loin, les années 1960
avec leurs promesses de « progrès » social et économique continu. Les
quelques décennies de réformisme nous ont-elles amenés dans un cul-de-sac? Oui,
la production économique augmente, mais à quel prix? Celui d'écarts de richesse plus en plus grands, tant à l’échelle nationale qu’internationale, et d’un
environnement de moins en moins viable. Sommes-nous en train de scier la
branche sur laquelle nous sommes assis?
Les
années appelées « Les Trente Glorieuses » (1945-1975) nous ont fait
croire que le progrès rimait avec croissance économique. Les possibilités
nouvelles de redistribution de la richesse et de progrès social (paix,
démocratie, éducation, culture) nous ont dopés : nous nous sommes endormis
sur nos lauriers, croyant que cela allait durer indéfiniment, oubliant le
principe de précaution, et nous complaisant dans un matérialisme et un
individualisme qui ont ouvert la voie à l’égoïsme. Ainsi, le jour où se pointent
des difficultés, c’est le chacun pour soi.
Quelle
est l’origine de ces difficultés? Nous avons surestimé la capacité du système
capitaliste d'assurer une croissance économique et bien répartie. Nous avons
compté sur lui pour poursuivre ces années d’opulence auxquelles on s’était
habitué. Dans notre confort, nous avons ignoré l’appauvrissement des pays du
Sud. Nous avons toléré des régimes répressifs (pour peu qu’ils soient utiles à
notre modèle économique), nous avons regardé les entreprises manufacturières
déménager dans des pays où on exploite les travailleurs (pourvu qu’on puisse consommer
des produits à bas prix), nous avons laissé les usines polluantes faire leur
œuvre (puisqu’elles polluaient surtout ailleurs) et surtout, nous avons laissé
notre principal outil collectif, l’État, tomber entre les mains des « puissances
d’argent ».
Qui
mène la politique aujourd’hui, comme aux belles années du Duplessisme, ceux et
celles qui ont un intérêt personnel à exploiter les fonds publics. Les
opportunistes ont remplacé les idéalistes, à la faveur de notre indifférence.
C’est notre désengagement politique, illustré par les bas taux de participation
électorale, qui nous a menés là.
1994
% sièges
|
1998
%
sièges
|
2003
%
sièges
|
2007
%
sièges
|
2008
% sièges
|
||||||
ADQ
|
6,5
|
1
|
11,9
|
1
|
18,2
|
4
|
30,1
|
41
|
16,4
|
7
|
PQ
|
44,9
|
77
|
42,9
|
76
|
33,2
|
45
|
28,4
|
36
|
35,2
|
51
|
PLQ
|
44,4
|
47
|
43,5
|
48
|
45,9
|
76
|
33,1
|
48
|
42,1
|
66
|
QS
|
3,6
|
3,8
|
1
|
|||||||
Vert
|
0,4
|
3,9
|
2,2
|
|||||||
% de part.
|
81,6
|
78,3
|
70,5
|
71,2
|
57,4
|
Avons-nous
vraiment les gouvernements que nous méritons? D’une part, plus de 42 % des
électeurs inscrits ne se sont pas donné la peine de se déplacer aux urnes en
décembre 2008. Et ce taux d’abstention est encore plus important chez les
jeunes. De quoi ces gens ont-ils le droit de se plaindre aujourd’hui?
Ils
se plaignent d’abord que « l’offre politique » est devenue dérisoire.
Que les partis politiques tiennent un discours politique semblable et qu’une
fois au pouvoir, ils renient une partie de leurs engagements. Ils se plaignent
que notre mode de scrutin mis en place au XVIIIe siècle déforme le verdict
électoral : le parti au pouvoir à Québec a obtenu une majorité des sièges
(66 sur 125, soit 52,8 %) grâce à 42,1 % des votes. Ils se plaignent
enfin que les élus du gouvernement deviennent insensibles entre les élections.
Pas étonnant, par conséquent, qu’il y ait tant de gens dans les rues.
1837-1838 :
âge des révolutions, révolte des Patriotes.
1968-1969 :
mouvements étudiants à la Sorbonne, à Berkeley et au Québec aussi.
2011-2012 :
Printemps arabe, Printemps québécois.
Oui,
il y a contagion. Mais ce n’est pas la seule explication. Il y a des problèmes
semblables dans tous ces pays : des régimes sourds aux appels du peuple,
un système économique qui met des millions de personnes dans une situation
intenable. Ce qui fait s’enflammer la rue, c’est une conscience aiguë des injustices qui ont cours, qui atteint même le
peuple de
satisfaits que nous sommes.
Que
faire? Changer notre perspective de la politique. Cesser pour un moment de la
regarder par le petit bout de la lorgnette. Quand nous ne nous préoccupons pas
seulement de notre confort personnel (salaire, pension, vacances, crédits
universitaires), nous avons le nez collé sur de petits problèmes auxquel nous
ne trouvons pas de solutions. Deux exemples : le français et les droits de
scolarité.
Problème
numéro un : après 30 ans de progrès, la langue française est en recul au
Québec. Les exemples abondent dans l’actualité. Or, on ne veut pas bousculer
les droits individuels, on ne veut pas paraître xénophobe, on ne veut pas faire
fuir les entreprises et leurs dirigeants. Bref, on ne veut plus appliquer la
Charte de la langue française.
Problème
numéro deux : après une période de gel des droits de scolarité – ce qui,
avec l’inflation, était équivalent à une baisse, on demande un rajustement. Après avoir rêvé de
gratuité scolaire, on accepte le compromis d’un partage du coût entre les étudiants, les
contribuables et les mécènes. Pourquoi? Parce que l’État québécois, pris entre
les baisses d’impôt des entreprises jugées nécessaires en raison de la
mondialisation et le déséquilibre fiscal de la fédération, n’aurait pas les
moyens d’aller plus loin. Et le Plan Nord, alors?
Le Jour de la Terre, 22 avril 2012: pour la sauvegarde de notre principal bien commun, notre planète, et pour un meilleur partage de ses ressources. |
Épuisement des ressources, mauvaise répartition de la richesse mondiale et nationale, politiciens insensibles aux intérêts du peuple, érosion du pilier identitaire de la nation québécoise et de son principal instrument collectif, l’État. Toute une série de problèmes auxquels les solutions réformistes semblent impuissantes. Peut-on rêver d’un réel progrès dans un système international dominé par le capitalisme et en laissant l’État québécois pris en sandwich entre les entrepreneurs venus des quatre coins de la planète et le fédéralisme canadien?
Profitons du Jour de la Terre, pour prendre du recul par rapport aux problèmes qui, pris un à un, semblent insolubles. Rêvons d’un monde meilleur. Exigeons l’impossible.
« Le monde d’aujourd’hui est fait des rêves d’hier. »
-
Garry Davis
Jusqu'ici c'est ton meilleur texte selon moi!
RépondreSupprimerMerci Dan. Le plus difficile, ce sera d'aborder les solutions. Ce sera pour une prochaine fois.
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