samedi 14 avril 2012

Un conflit à multiples niveaux

On juge une démocratie sur sa capacité de résoudre pacifiquement les conflits. Or la contestation de la hausse des frais de scolarités par un bon tiers des étudiants inscrits aux cégeps et aux universités du Québec est en train de prendre une tangente inquiétante.

On peut être pour la hausse des droits de scolarité, comme Heather Munroe-Blum, principale et vice-chancelière de McGill, pour la gratuité, comme Guy Rocher, sociologue émérite de l’Université de Montréal, ou pour un compromis, comme certains de mes collègues qui se sont prononcés pour l’indexation.

Or, le conflit ne porte plus sur le niveau des droits de scolarité. Il a débordé depuis la mi-mars. Si le gouvernement Charest avait invité les représentants étudiants à discuter de cette question à la veille de son budget, il aurait pu s’entendre sur des modalités concernant l’obtention de l’aide financière aux études et le remboursement des dettes des étudiants, tout en rééchelonnant la hausse des droits. Lorsqu’il décidé, sans consulter, de modifier timidement le régime de prêts et bourses il était trop tard. Son obstination à refuser le dialogue et le compromis a radicalisé le mouvement étudiant.

Alors qu’il n’était question que d’accessibilité et d’endettement, le débat s’est élargi pour englober la gestion immobilière et administrative des universités, voire la « marchandisation » de l’éducation. N’ayant vu aucun signe d’ouverture, les leaders étudiants ont eux-mêmes fait des propositions démontrant qu’il était possible d’aller chercher des sommes supplémentaires pour financer les universités sans recourir à une hausse aussi rapide des droits.
Line Beauchamp: entre le marteau et l'enclume
Pendant ce temps, le premier ministre, Jean Charest, continue sa mission économique au Brésil, l’air de dire « Je m’occupe de la prospérité des Québécois. Il faut bien que quelqu’un paie des impôts pour financer l’éducation supérieure. » La ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport, Line Beauchamp, a vraiment l’air à côté de ses pompes. Il est clair qu’elle obéit à des ordres. On la connaît plus sensible aux mouvements sociaux. Quant à lui, le ministre des Finances, Raymond Bachand, égal à lui-même, a déclaré à Tout le monde en parle « C’est ça le problème en démocratie, on doit consulter tout le monde. »

Raymond Bachand: pourquoi consulter tout le monde?

On joue avec le feu

En effet, la démocratie exige plus qu’un vote tous les quatre ans pour désigner un représentant dans chaque circonscription. La participation citoyenne se poursuit à travers différents modes de consultation formels et informels. Dans une situation de crise. On a recours à une rencontre au sommet. Le refus du gouvernement confine les étudiants à un cul-de-sac. Ou bien ils rentrent en classe et perdent leur emploi d’été pour rien (la hausse s’appliquera telle quelle), ou bien ils continuent leur lutte jusqu’au bout, coûte que coûte : ils pourraient perdre leur session d’étude.

Dans un tel contexte, le gouvernement joue gros. Il compte sur un mouvement de panique des étudiants dès qu’une institution ayant épuisé tous les scénarios de reprise décrétera une annulation de cours. Il compte aussi sur ces deux tiers de l’opinion publique qui appuyait la hausse des droits au début du conflit. Enfin, et surtout, Jean Charest ne veut pas, à la veille d’une élection générale, plier contre le mouvement étudiant et ses alliés, qui représentent pour lui un électorat perdu d’avance.

C’est un pari risqué. Deux tiers de la population sont aussi favorable à la négociation. Une partie de la société plutôt opposée aux revendications des étudiants lui accorde aujourd’hui, à tout le moins, sa sympathie. Les étudiants se sont montrés déterminés depuis le début. Devant des scénarios de récupération de cours imprécis et incertains, plusieurs ont déjà décidé d’abandonner leur session et n’ont rien à perdre.
Léo Bureau-Blouin: vers une guerre civile?
Hier, Léo Bureau-Blouin, le président de la Fédération étudiante collégiale a laissé échapper que le premier ministre Charest jouait avec le feu et qu’il ne fallait pas attendre qu’on se retrouve en situation de « guerre civile ». C’était une figure de style, mais elle fait réfléchir. Que se passe-t-il quand le dialogue entre les acteurs sociaux, un des mécanismes de la démocratie, est impossible? La résolution pacifique du conflit devient difficile.

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