jeudi 24 mai 2012

Le pari perdu de Jean Charest

La poursuite et même l’intensification de la mobilisation contre la hausse des droits de scolarité vont bientôt faire plier le gouvernement. Jean Charest, qui comptait sur l’appui initial de l’opinion publique pour remporter une victoire sur les associations étudiantes en grève, pour ensuite se lancer en élection, commence à faire l’unanimité contre lui. Il devra reculer. Même La Presse le lui demande. Sa dernière carte, la loi 78, n’était pas la bonne.

Après avoir plié devant le peuple sur la centrale du Suroît, la privatisation d’une partie du parc du Mont Orford et la commission sur la collusion et la corruption dans le domaine de la construction, il devra encore une fois retraiter, car le mouvement étudiant ne désarme pas. Tout au plus aura-t-il réussi à retarder le dénouement du conflit et à détourner l’attention des scandales de corruption et de sa politique minière contestée durant quelques mois.
Jamais à court de bonnes idées, les manifestants ont
utilisé la technique du tintamarre. (Photo: La Presse)
Lorsque la grève a commencé, les étudiants ont demandé à leurs enseignants et chargés de cours de les appuyer en refusant de se présenter en classe. Ils voulaient éviter d’avoir à faire du piquetage devant chaque salle de classe. Je leur ai répondu que je ne pouvais pas faire la grève à leur place. En bon citoyen obéissant aux lois (et soucieux de toucher son salaire…), je me suis présenté à chacun des cours comme le veut le Code du travail, ma convention collective et mon contrat d’enseignement.

Je leur ai dit que pour réussir, ils devaient faire deux choses : mobiliser leurs collègues (si seulement cinq ou six étudiants étaient en classe, je ne pouvais donner mes cours) et obtenir l’appui de l’opinion publique (nous sommes en démocratie après tout). C’est comme cela qu’ils l’avaient emporté en 2005.

Après une longue période d’incertitude, le mouvement étudiant peut maintenant compter sur ces deux atouts. Une mobilisation qui s’étend, comme en font foi la manifestation du 22 mai et le grand tintamarre du lendemain, et un appui tardif de l’opinion publique à une solution négociée, tout cela grâce à la décision du gouvernement du Québec d’adopter une loi spéciale. Au lieu de se contenter de reporter les sessions pour calmer le jeu, Jean Charest a adopté une série de mesures répressives qui ont jeté de l’huile sur le feu. Du coup, il a relancé la contestation, fédéré toutes les causes sociales autour des étudiants et braqué une partie de l’opinion publique contre lui.

Il est depuis longtemps acquis que ce conflit serait une lutte sans merci entre les étudiants et le gouvernement. Aucune partie ne voulait jouer le jeu normal du compromis, celui qui fait que normalement, dans les sociétés libérales avancées, on essaie de faire coïncider les intérêts opposés. Les forces sont demeurées égales pendant longtemps. Les étudiants avaient réussi leur mobilisation. Jean Charest croyait à tort qu’elle s’essoufflerait. Le premier ministre profitait d’une opinion favorable aux hausses. Aujourd’hui, une grande partie de population désapprouve ses actes.

Des alliés traditionnels du gouvernement ont ouvertement critiqué la loi spéciale. Bâtonnier du Québec, Conseil du Patronat et maintenant La Presse. Bien qu’en faveur de la hausse et pour l’accessibilité grâce à l’aide financière bonifiée, j’ai signé dès samedi la pétition des historiens contre la loi 78, sans toutefois approuver la désobéissance civile, même pacifique, car je l’estime contre-productive dans les circonstances.
Les manifestants se préparent à accueillir les 300 000
visiteurs au Grand Prix de Montréal (Photo: Le Devoir)
À l’approche du Grand Prix de Montréal, où des étudiants prévoient bloquer le Métro Jean-Drapeau en tenue légère, la voix des commerçants et hôteliers s’ajoute au concert qui demande au gouvernement de jeter du lest. La ministre Courchesne cherche le moyen de régler le conflit sans perdre la face. Dorénavant, ce n’est qu’une question de temps.

À mon avis, les étudiants avaient déjà gagné, à la fin avril, sur l’accessibilité et l’endettement, avec la bonification des prêts et bourses, le remboursement proportionnel au revenu et l’étalement de la hausse. Le gouvernement pouvait encore dire qu’il n’avait rien cédé. Aujourd’hui, il n’a pas d’autre choix que de plier devant un mouvement social qui a gagné en force. C’est cela aussi, la démocratie.

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