mercredi 10 août 2011

Haro sur l'économie financière

Les crises financières qui nous guettent démontrent encore une fois les contradictions du capitalisme contemporain et le tort infligé par les politiques néolibérales à la régulation de l'économie. Elle vient nous rappeler que les assises de l'économie moderne sont viciées par la distance qui existe de nos jours entre l'économie réelle et l'économie financière.



Au début, fut la révolution industrielle. L'entrepreneur créait une entreprise répondant aux besoins de la société, en embauchant dans des manufactures des artisans devenus ouvriers, en leur fournissant la machinerie et les matières premières et en cherchant constamment les manières de réduire le prix de vente de ses produits en améliorant la productivité et la taille de son usine. Évidemment, le profit était son objectif ultime, mais les moyens d'y parvenir passaient par l'emploi et la satisfaction des besoins des consommateurs.

On objectera que l'exploitation des travailleurs a aussi servi aux entrepreneurs pour améliorer leur position concurrentielle et que la mécanisation en a acculé un grand nombre au chômage, ce qui résulta en une pression à la baisse sur les salaires, mais la réglementation gouvernementale, l'essor du syndicalisme et les programme sociaux créés après la Grande Crise ont finalement rétabli l'équilibre au sein des économies nationales. S'ensuivirent les Trente Glorieuses (1945-1975), l'âge d'or des pays dits avancés.

L'économie capitaliste est basée sur le profit et la croissance. Comme un avion, elle s'écrase si elle ne maintient pas une certaine vitesse. Les échanges commerciaux internationaux ont fait déborder les entreprises du cadre national. Les accords de libre-échange régionaux et mondiaux ont globalisé l'économie. Les entreprises sont devenues transnationales. Les États ont accepté de limiter leurs interventions dans l'économie et, pour éviter que les entreprises nationales ne soient désavantagées face à leurs concurrents, commencèrent à abaisser les impôts aux entreprises locales pour les rendre concurrentielles puis ceux des particuliers, pour éviter l'exode des hauts salariés. L'État, privé de moyens financiers et législatifs, ne peut plus discipliner les entreprises multinationales, ni assurer adéquatement le financement des services publics de base.

Mais ce nouveau capitalisme global souffre de dérèglements internes qui tirent leur origine du capitalisme financier. Au XIXe siècle, les entreprises en croissance assuraient leur financement grâce aux banques. Puis, on inventa la société par actions, qui permettait à plusieurs entrepreneurs de mettre ensemble leur capital et leur crédit pour acquérir des « parts » des entreprises. Ce fut la première étape de la distanciation entre l'économie réelle et l'économie financière. Dorénavant, les propriétaires, devenus actionnaires, laisseraient à des gestionnaires la conduite quotidienne des opérations des entreprises, qu'elles soient du secteur primaire (extraction), secondaire (fabrication) ou tertiaire (services). Leur principale préoccupation : la rentabilité.

Cette évolution finit par avoir d'importants effets pervers. Les investisseurs furent de moins en moins nombreux à se préoccuper de la réalité des entreprises, de leur production, de leur rentabilité, de leur pérennité qui ne devinrent que des facteurs parmi d'autres, déterminant la valeur de leurs actions. Tout ce qui importait pour eux, c'était la valeur de leurs actions. Des exemples récents attestent de cette dérive: L'usine Electrolux de l'Assomption déménagera aux États-Unis, parce qu'elle y sera plus rentable, grâce à des salaires moins élevés et la décision des autorités de l'État du Tennessee et de la ville de Memphis d'utiliser les maigres impôts des contribuables pour la financer. La société pharmaceutique Merck, très rentable, éliminera 13 % de ses emplois afin de fournir un meilleur rendement aux investisseurs.

Mais le capitalisme financier obéit également à des phénomènes moins rationnels qui, eux, n'ont aucune lien avec l'économie réelle. Les prix des actions sont moins déterminés par la valeur objective des entreprises et de plus en plus par la perception des « marchés », c'est-à-dire les institutions financières qui manipulent les actions au nom des investisseurs et de leurs courtiers. La décision d'acheter des actions est fondée sur la perception de croissance de la valeur de ces actions, et non pas sur l'état de l'entreprise dont elle détermine la propriété. Et la décision de se départir d'actions est fondée sur la perception que ces actions vont perdre de la valeur. En d'autres termes, l'économie financière est dictée par la psychologie, pas par l'économie.

Lorsqu'une simple rumeur court voulant que la valeur en bourse d'une société va diminuer, on se précipite pour se départir de ses parts. Du coup, par l'effet de l'offre et de la demande, l'action perd de sa valeur. C'est ce qu'on appelle une « prophétie créatrice ». Les hauts et les bas de la bourse sont le résultat de cet effet de meute.

Plus encore, les « produits financiers » sont faits de plus en plus de « paniers d'actions » (fonds communs souvent composés eux-mêmes de parts dans des fonds communs) ou de « produits dérivés » hautement spéculatifs (comme des billets fondés sur le prix futur d'une action ou les fameux papiers commerciaux adossés à des actions). Où est l'économie réelle là-dedans? À la remorque de l'économie financière. Comme beaucoup de crises précédentes, la crise de 2008 a fait la démonstration une nouvelle fois que l'effondrement des bourses entraîne la fermeture d'entreprises, la mise à pied de travailleurs et la détresse sociale.
 
Ne faudrait-il pas « réformer le capitalisme » comme l'a si justement suggéré le président Sarkozy, dans un de ses rares bons coups de gueule? Mais dans un système international formé seulement d'États souverains devenus impuissants, comment faire? Les institutions internationales n'ont pas de pouvoir de contrainte, comment en avaient les États avant que les entreprises ne soient transnationales. Les seuls lieux où pourraient se prendre des décisions contraignantes dans leurs législations respectives sont le G8 et le G20, au moment où les banques, les maisons de courtage et les grandes entreprises étaient aux abois.



Les chefs d'État du G8

Au lieu de cela, chaque État a fourni des sommes faramineuses pour les renflouer, à partir des fonds publics qui ne sont dorénavant plus disponibles pour financer les services publics. Regardons où en sont rendus les États-Unis. Des déficits successifs nourris depuis George W. Bush par les guerres, les baisses d'impôt et les plans de sauvetage des entreprises du capitalisme financier. Pire encore, le plan budgétaire adopté il y a une semaine n'est pas crédible parce qu'il ne comprend pas la hausse d'impôt qui permettrait à terme de rétablir le nécessaire équilibre sans démanteler les programmes sociaux.

Les apôtres du néolibéralisme l'ont emporté encore une fois. Les entreprises n'ont plus de contrepoids, l'État national étant devenu impuissant, et les institutions internationales ne font pas le poids. Chaque pays, abandonné à lui-même, pratique le chacun pour soi.

Notre indifférence et notre défaitisme politique nourrissent notre sentiment d'impuissance, et cela n'arrange rien. Pis encore, parce que le capitalisme financier s'est « démocratisé », nous faisons nous aussi partie de cette machine infernale. En regardant fondre nos REER cette semaine, rappelons-nous que nous somme partie au système.
 

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