mardi 2 août 2011

Avons-nous perdu notre instinct de survie?

Ce n’est pas d’hier que l’humanité traverse de grandes frayeurs suivies d’une période d’accalmie et d’oubli. Aujourd’hui, les sursauts d’humeur de l’opinion publique sont exacerbés – et leur durée raccourcie – par l’instantanéité de l’information. Dès qu’une nouvelle naît, elle s’étend par Internet, puis les chaînes d’information continue et enfin les journaux quotidiens. Ensuite, elle est chassée par une autre nouvelle, plus « nouvelle » si j’ose dire. Prenons la famine dans la corne de l’Afrique, la huitième en 20 ans. Quelques jours d’indignation, puis on passe à autre chose… Ah! Oui, les viaducs qui tombent.


On dirait que plus en plus d’évènements nous traversent l’esprit sans atteindre notre conscience. Est-ce parce que l’information est maintenant traitée comme une forme de divertissement, sans être approfondie? Est-ce que nous nous informons vraiment? Si oui, sommes-nous devenus insensibles, endurcis? Pire, nous habituons-nous à l’horreur?
Tout jeune, j’ai pris conscience de la Guerre froide à travers un récit d’anticipation d’Yves Thériault trouvé dans la bibliothèque de mes parents, Si la bombe m’était contée. Des années 1950 à 1980, nous avons vécu à l’ère nucléaire, celle de la course aux armements. La théorie de la dissuasion voulait que les grandes puissances n’utilisent pas leurs armes, puisqu’il y aurait « destruction massive assurée ». Cet « équilibre de la terreur » a fonctionné en 1962 lors de la « Crise des missiles de Cuba ». On avait quand même frôlé la catastrophe. Valait donc mieux se préparer contre le danger d’une attaque nucléaire accidentelle, qui annihilerait tant l’Ouest que l’Est, en se fabriquant son petit abri antinucléaire personnel. On était encore loin du « cocooning » et l’« outdooring ». Les abris qu’on nous proposait dans les magazines n’avaient rien de confortable. De toute façon, qu’aurait-on fait au bout de 30 jours, en émergeant dans un désert? Puis, dans les années 1970, la frénésie s’est calmée peu à peu. Nous savions que le danger existait. Mais on s’était habitués.



En 1989, la chute du mur de Berlin a donné lieu à une détente entre les deux principales forces nucléaires, les États-Unis et la Russie. Ce ne fut toutefois pas sans quelques sueurs froides. Je me rappelle des jours entourant le remplacement de Gorbachev par Eltsin… Plus personne ne savait qui avait le contrôle des ogives soviétiques. Étions-nous de nouveau au bord du gouffre? Et c’est sans compter la crainte que cet arsenal ne soit bradé à quelque terroriste décidé à en transporter quelques pièces chez nous. C’est ainsi que, bien avant les attentats du 11-Septembre, la crainte d’une Troisième Guerre mondiale fut remplacée par celle du terrorisme. Les États-Unis s’étant fait des ennemis dans le monde, les Américains se promenaient en Europe arborant un drapeau canadien sur leurs bagages…

Le 11 septembre 2001, j’étais conseiller politique à la Chambre des communes. Étant donné que le Canada était une cible « potentielle », on nous a permis de quitter nos bureaux de la Colline plus tôt ce jour-là. Mais pendant une semaine, nous regardions le ciel dès qu’on entendait un avion passer. Et puis, peu à peu, nous nous sommes habitués.

La peur des attaques terroristes fut graduellement remplacée au milieu de la décennie 2000 par celle du réchauffement planétaire. Pourtant, la remise en question de la croissance à tout prix n’était pas chose nouvelle. Lorsque j’étais au cégep, à la fin des années 1970, on nous faisait lire L’Utopie ou la mort, de René Dumont dans les cours de philosophie. Entre ses deux « mandats » à la tête du Québec, Robert Bourassa était venu nous rencontrer à Victoriaville pour faire part de sa conception du développement de l’énergie hydroélectrique. Lorsque j’ai soulevé les objections des écologistes, il m’avait répondu : « Ça prend toujours des rêveurs ».

Mais voici que leurs pires prédictions s’avèrent : changements climatiques, libération du carbone enfoui dans les tourbières, fonte des pôles avec un cortège de conséquences : relèvement du niveau des océans, changement de trajectoire des courants marins, libération de matières toxiques emprisonnées dans la glace, sans compter une consommation des ressources dépassant la capacité de renouvellement de la planète, la crise alimentaire mondiale, les réfugiés climatiques, les déchets nucléaires, les réacteurs accidentés. Cela vous dit quelque chose? Il y a quelques années, ces nouvelles faisaient la manchette… puis doucement nous avons cessé de nous alarmer. On se dit que les changements sont si lents que nous allons nous adapter, notamment grâce à la technologie. On ne voit plus que les « incidents météorologiques graves » sont de plus en plus fréquents. On n'a rien changé, ni à notre mode de vie, ni à notre modèle économique.



Avons-nous perdu notre instinct de survie?

L’apathie et le défaitisme politique dont nous faisons preuve en ce moment n’arrangent rien. Nous en sommes venus à considérer comme des fatalités la famine, les guerres traditionnelles ou « terroristes », la surconsommation et la pollution. Nous avons causé notre propre impuissance en nous détournant de nos moyens d’action collectifs, notamment les partis politiques et l’État, et en nous réfugiant dans la jouissance égoïste du moment présent.
Pourtant, le changement commence par chacun de nous. Et les moyens existent : les organismes de coopération internationale et de défense de l’environnement foisonnent et n’attendent que nos dons ou notre temps. On ne dispose de ni l’un ni l’autre? Alors, on peut bien s’informer afin de mieux voter. Quelques dizaines d’écogestes bien intégrés à nos habitudes de vie réduisent notre empreinte écologiste et servent d’exemple. S’il est vrai que seul, on ne peut pas changer le monde, on peut arriver petit à petit, par l’exemple, à créer un mouvement. Pour ce faire, il faut secouer ce désespoir qui nous a gagnés depuis quelques décennies.

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