mercredi 21 septembre 2011

Le défi de l'intégration des immigrants (2) Quand cesse-t-on d'être étranger?

La semaine dernière, mon regard a été attiré par un titre qui coiffait le témoignage d’une « ancienne immigrante » dans un journal. Cette expression inusitée est contraire au mythe populaire qui veut qu’une personne née hors du pays reste immigrante toute sa vie. D’ailleurs, en France, on dit bien d’une personne qu’elle est « immigrée », ce qui signifie que son passage est terminé. Ici, on dirait qu’il ne l’est jamais.


Il y a quelques années,  j’ai  assisté à une conversation cocasse dans un dépanneur du quartier Saint-Michel. Un Québécois d’origine canadienne-française d’une soixantaine d’années  (il y a des piliers de dépanneur comme autrefois des piliers de taverne) était accoudé, racontant ses exploits alors qu’il vivait à Haïti. Entre une jeune femme noire avec sa fille. Il l’apostrophe : « Oui, madame, quand j’étais dans votre pays, j’ai connu Duvalier, les boubous macoutes, etc. » Elle l’interrompt pour lui répondre : « J’ignore de quoi vous parlez, monsieur, je suis née au Québec. » Aux yeux de certains membres de la société d’accueil, le statut d’étranger est transférable d’une génération à l’autre.

Bien sûr, être étranger, ce n’est pas seulement dans l’œil de l’Autre. On l’est objectivement à son arrivée, mais à force de fréquenter la population d’accueil, on connaît sa culture – pas seulement ses artistes, mais l’ensemble de ses « manières de penser, sentir, agir », comme l’a écrit le grand sociologue Guy Rocher. Bref, on finit par ne plus être étranger. On fait partie de la société d’accueil, on fait sienne sa nouvelle nation. On devient « un ancien immigrant ». Au demeurant, cela n’empêche personne de faire partie de plusieurs nations. D’avoir une identité multiple. Voire même cumuler les identités canadienne, québécoise et celle de son pays de naissance.

Or, la nation a la vie dure en ce moment. Elle est assaillie de toutes parts, par la mondialisation des marchés, des idées, des personnes. Les frontières sont poreuses, on les franchit allégrement. On peut vivre dans plusieurs pays et ne se réclamer d’aucun. Même la notion d’étranger semble avoir disparu : l’ancien Bureau des étudiants étrangers de l’Université de Montréal est devenu le Bureau des étudiants « internationaux ». Les étudiants venus d’autres pays seraient « entre les nations »? Seraient-ils apatrides ou citoyens du monde? Chose certaine, ça n’existe plus les étrangers.

Bref, il semble qu’un « nouvel arrivant » soit condamné à être étranger toute sa vie ou à n’être rien du tout. Mais n’a-t-on jamais pensé qu’il puisse devenir Québécois (ou Canadien) à part entière?  Il me semble que de tout temps l’objectif de l’immigrant a été de s’installer dans un nouveau pays et, après une certaine période d’adaptation, d’en acquérir non seulement la citoyenneté, mais aussi la « nationalité » dans le sens le plus plein du terme. Oui, c’est possible. J’en connais qui sont à bien des égards plus québécois que moi qui suis né ici.

J’ai des amis en Écosse qui sont nés, lui en France, elle en Angleterre et qui militent activement pour le Scottish National Party. Ce serait comme si un Allemand et une Ontarienne anglophone feraient du porte-à-porte pour le PQ. Pour paraphraser le regretté Philippe Seguin, ancien président de l’Assemblée nationale française : « Plus Québécois que ça, tu meurs! »

Devenir Québécois c’est s’intégrer à plusieurs niveaux : linguistique, culturel, économique et politique. Dans les années 1960 et 1970, on a beaucoup parlé de l’intégration linguistique. En 1995, de l’intégration politique (rappelez-vous « de l’argent et des votes ethniques »). En 2007, de l’intégration culturelle (les « accommodements raisonnables »). Aujourd’hui, de l’intégration économique. Ces débats démontrent que l’intégration est une chose importante pour tous (les intégrants comme les intégrés!) et qu’à chaque niveau, des efforts doivent être consentis par les immigrants et par la société d’accueil.

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