samedi 24 septembre 2011

Le défi de l’intégration des immigrants (3) L’héritage de Pierre-Elliot Trudeau

Pierre-Elliott Trudeau a été premier ministre Trudeau de 1968 à 1979 et de 1980 à 1984 aux belles heures du nationalisme québécois. Libéral et antinationaliste, il s’est donné comme objectifs de faire du Canada « une société juste » et de combattre les velléités autonomistes du Québec. « Fini les folies », a-t-il clamé, à son arrivée au pouvoir. Pour lui, il ne pouvait être question de « nation québécoise ». Le Canada devait être la patrie d’individus porteurs de droits. Pour contrer le nationalisme québécois, il s’est donné comme objectif d’y opposer un nationalisme « fédéral ». C’est la tâche à laquelle il s’est attaché.

Ce faisant, il a travaillé avec acharnement à détourner l’objectif des nationalistes, tant autonomistes qu’indépendantistes, qui voulaient faire correspondre aux frontières du Québec une langue et une culture nationales. Il craignait que cela mène irrémédiablement à la création de deux Canadas. Il était nullement question de reconnaître le Québec comme une société distincte, et encore moins comme une nation. Pour lui question nationale se résumait à une décision des Canadiens français : désiraient-ils être une majorité dans un Canada libre et démocratique ou demeurer une minorité dans un Canada libre et démocratique? Son bilan : une nouvelle culture politique canadienne fondée sur le bilinguisme, le multiculturalisme et la Charte des droits et libertés.  Son héritage a affaibli la capacité d’intégration politique des immigrants au Québec.
Pierre Elliott Trudeau (1919-2000)

Devant les pressions qui s’exercent aujourd’hui sur la nation, l’acquisition de la « nationalité », c’est-à-dire le processus qui fait qu’à terme, un « immigrant » cesse d’être un « étranger » pour devenir membre de sa nation d’accueil, est devenu plus difficile, même dans les pays occidentaux à forte tradition d’immigration comme le Canada. Et cela est plus dommageable encore pour le Québec, petite nation à la situation démographique précaire et au statut indéfini. Les trois axes de la politique de Trudeau y ont contribué. Le bilinguisme, le multiculturalisme, et la Charte des droits et libertés ont donné une nouvelle identité au Canada.

D’abord, le bilinguisme adopté en 1969 et confirmé en 1982 a affaibli le projet des nationalistes révolutionnaires tranquilles de faire du Québec un État français. Cette politique visait à protéger les membres des minorités francophones des autres provinces dont les droits avaient été réduits depuis les années 1870. Il redressait ainsi un tort historique, même si pour la plupart de ces communautés, il était trop tard pour se développer pleinement. Au Québec, la mesure était populaire parce qu’elle obligeait enfin l’État fédéral à offrir des servir en français, ce qui n’était pas toujours évident à l’époque. Le revers de la médaille : il s’agissait d’un droit individuel, et non collectif : celui de tout Canadien d’aller à l’école et de recevoir des services fédéraux en français ou en anglais partout au Canada. De plus, cette politique réduisait la capacité du Québec de limiter l’accès à l’école anglaise.

En second lieu, la politique du multiculturalisme, première version, celle de 1971, qui encourageait la rétention des langues et les attitudes culturelles des pays d’origine. Cette politique a été adoucie en 1988, lors de l’adoption de la Loi sur le multiculturalisme, pour s’orienter davantage vers la lutte à la discrimination. Mais depuis l’enchâssement du principe du multiculturalisme dans la Loi constitutionnelle de 1982, le multiculturalisme est devenu un fondement de l’identité canadienne. Exit le « biculturalisme » cher aux Québécois.

Les conséquences sur l’existence de deux pôles  d’intégration, le pôle québécois, où on devrait s’intégrer en français, et le pôle canadien-anglais qui n’a jamais eu de problème à intégrer en anglais, sont considérables. Je ne crois pas que Trudeau ait voulu torpiller la politique d’intégration au Québec : c’est quand même lui qui a autorisé que le Québec fasse la sélection des immigrants sur son territoire, par l’accord Cullen-Couture. Mais la nouvelle définition du Canada, multiculturel et bilingue d’un océan à l’autre, n’offre pas clairement aux nouveaux Québécois l’image d’un pays binational.

Autre obstacle à l’intégration des immigrants à la nation d’accueil : l’utilisation faite de certains articles des chartes des droits et libertés qui nuisent à la création d’un lien social tant au Canada anglais qu’au Québec. À l’origine, ces chartes avaient un objectif universaliste : protéger chacun contre les abus de pouvoir des majorités. Elles sont devenues un prétexte pour des revendications qui accentuent la fragmentation de la société. Beaucoup de recours devant les tribunaux pour la sauvegarde de droits sont en fait des revendications politiques au nom de groupes particuliers. Qu’on pense aux articles qui protègent la liberté religieuse, qui sont invoqués pour protéger des pratiques culturelles communautaristes. Ou encore aux droits à l’égalité, censés protéger contre la discrimination les membres de certains groupes définis selon le sexe, l’orientation sexuelle ou autre, et qui donnent lieu à des mouvements identitaires en concurrence avec l’identité nationale.

Les élites québécoises ont longtemps été coupables du manque d’intégration des immigrants à la majorité francophone. L’Église catholique, responsable de l’éducation, les repoussait vers les écoles anglaise, même lorsqu’ils étaient catholiques. Même à l’église, on ne les laissait pas se mélanger avec les Canadiens français. On avait institué des paroisses « nationales ». « Vous êtes Italienne? Allez vous marier dans votre église de la Petite Italie. » Par conséquent, 80% des immigrants s’intégraient en anglais au Québec.
Cérémonie d'assermentation de nouveaux citoyenx

Dans les premières années de la Révolution tranquille, les autorités politiques ont décidé que l’immigration deviendrait un facteur de renforcement du fait français. Mais le Québec n’est qu’un demi-État qui ne contrôle pas entièrement sa politique d’immigration, qui n’octroie pas de citoyenneté « québécoise », et qui n’a pas d’armée. Il lui reste une politique d’éducation pour faire des « nouveaux arrivants » des Québécois. Depuis 1977, on admet enfin les enfants d’immigrants à l’école française. Les enfants de la Loi 101 sont le Québec de demain. Est-ce qu’à elles seules les écoles suffiront à en faire des Québécois, à l’heure où on n’y enseigne plus l’histoire nationale? Il y a matière à s’inquiéter.

La Chambre des communes d’Ottawa eu beau reconnaître en 2006 « les Québécois et les Québécoises » comme une nation au sein d’un Canada uni, le Québec demeure une province comme les autres. On a raté le train de la souveraineté en 1995 et on ne sait pas à quelle heure il repassera. Les forces de la mondialisation évoquées dans le dernier article se conjuguent avec l’héritage de Trudeau pour rendre plus difficile l’intégration politique des nouveaux Québécois. 

1 commentaire:

  1. Merci Michel.
    L'heritage de Trudeau est immense dans notre image du Canada d'aujourd'hui. Autant, sinon plus que Pearson.
    Je realise que nous sommes probablement a un tournant de l'histoire. La division politique actuelle pourrait tres bien faire en sorte que nous soyons au debur d'une ere Harper pour les 10-20 prochaines annees qui va redefinir l'image du Canada pour en faire un pays bien loin de la vision de Trudeau.

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